Cérémonie d'«arrestation» du roi en pays Bamiléké

Une heure plus tard, les collines étaient assiégées par un large public, nous devions être plusieurs milliers, le clairon résonnait et annonçait l'arrivée du Roi Momo. Dans une belle voiture tout-terrain neuve offerte par ses élites urbaines, Sa Majesté, accompagné de deux reines, est sorti de l'auto vêtu de blanc. Un serviteur tenait à côté de lui un grand parasol publicitaire. La cérémonie pouvait commencer.

D'abord, la fin de deuil avec les reines qui dansaient malgré leur âge. Puis les discours, pas trop longs : le Roi Momo avait donné ses consignes. On remerciait les autorités administratives et les autorités tribales, on remerciait aussi les sujets et les amis d'avoir abandonné leurs activités pour être présents, on insistait sur le développement du village :  le transfert de la chefferie, la construction d'une halle communautaire, la présence de tonnelles et de chaises, qui montrent bien que sous le règne d’Étienne et grâce au Maire, le village se développait. On constatait aussi que la piste n'était pas si mauvaise et avait permis à de nombreuses personnes d'être présentes.

enfantsOn appela ensuite les enfants du feu Roi. Aucun n'osa s'avancer, l'heure était tragique et le destin de l'un d'eux allait dans quelques minutes changer pour toujours. Les filles montrèrent l'exemple mais les garçons, plus vulnérables aux conséquences de la cérémonie, étaient hésitants et nerveux. La vie d'un prince allait basculer dans le respect de la tradition. Pour toujours, il allait devoir assumer un nouveau rôle et se plier au protocole, aux us et coutumes du pays Foto, découvrir la forêt sacrée, y être initié, prendre reines et diriger la vie du village. Certains se disaient visiblement que ce n'était pas pour eux, d'autres semblaient avoir de grandes craintes.

 

Les princes sous la surveillance des gardiens royaux attendent, inquiets, le verdict

Dans le public, certains pensaient savoir qui serait élu, mais le secret était bien gardé. Y avait-il cependant secret ? La décision était-elle déjà prise ou y avait-il réellement délibération avec les esprits ? Il n'en demeure pas moins que tous les pronostics ont failli, que ce soient ceux du public ou ceux des princes que l'on tentait de deviner sur leurs visages craintifs.

masquesSa Majesté Momo revint et désigna l'élu. Il fut directement emmené de force par les gardes masqués en direction de la forêt sacrée. Les princes et princesses restant semblaient en majorité plutôt tristes de la décision, sans doute avaient-ils chacun leur favori, leur frère issu de leur mère ? Ou bien étaient-ils tristes pour ce frère qui avait bien d'autres projets et qui se retrouve sacrifié au service de la communauté ? On arrêta aussi deux seconds, non pour être des petits rois ou pour seconder le chef, mais pour s'occuper de la vie de la famille. En effet, le Roi aura bien d'autres soucis à régler que la gestion de la vie familiale. Finalement, on désigna la Reine mère, qui devrait se charger de la logistique de la case de la forêt sacrée. Visiblement plus âgée, elle avait aussi sa vie marquée par cette nouvelle affectation au service du nouveau Roi.

La reine mère est à son tour désignée et arrêtée
pour rejoindre la case de la forêt sacrée

La cérémonie achevée, l’heure était avancée et nous partîmes à la recherche de deux motos pour rentrer en ville. Un minibus était en partance pour Yaoundé. Mal inspirés, nous achetâmes des billets pour un voyage dans un confort exécrable.  L'allée centrale avait été investie de sièges à rabat et ce n'était pas moins de cinq personnes qui prenaient place par rangée. Vite, manger un peu de viande grillée et de piment dans un morceau de pain, boire du Coca. Et puis cette route longue avec les jambes pliées et la fesse endolorie par la banquette usée, et même pas assez de place pour les épaules qui devaient se déporter vers l'avant. Sept heures dans cette position, cela ne peut pas être possible. Et le chauffeur d’allonger notre souffrance en ajoutant des arrêts inopinés pour charger encore un peu plus le minibus qui était déjà poussif dans les côtes et raclait son bas de caisse au passage des dos d'âne. Et puis, la musique nasillarde et à plein volume, sans doute pour éviter d'entendre le mécontentement des passagers, ou peut-être pour adoucir nos souffrances. Arrivés à Bafoussam, nous avions déjà plus de deux heures de bus, il fallait cependant réparer l’échappement, nous sommes sortis quelque peu. La rue était haranguée par le son d'une église où l'on pratiquait la délivrance. « 1-0 pour Jésus face à Satan », ce n'était pourtant pas la Coupe d'Afrique de football. Plus tard, encore un arrêt pour faire le plein et puis, des heures de douleur à la cuisse. J'ai suggéré deux fois, en « plaisantant », à Dieudonné de s’arrêter à Bafia pour passer la nuit dans un hôtel et repartir le lendemain. Mais il ne restait alors que deux heures de route, Dieudonné espérait déjà une douche pour décoller la poussière rouge, et moi, je m'étais fait une raison et espérais un dimanche de convalescence. Passé minuit, enfin délivrés du bus, nous arrêtâmes un taxi pour rejoindre l'appartement prêté par la Faculté.

C'était un week-end, peu ordinaire, en Afrique.         

 

Serge Schmitz
Juillet 2012

 

crayongris2Serge Schmitz enseigne la géographie culturelle à l'ULg où il dirige le Laboratoire d'analyse des lieux, des paysages et des campagnes européennes (Laplec).


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