Cérémonie d'«arrestation» du roi en pays Bamiléké

Nous avons l'autorisation de dormir dans une des cases d'hôtes. On nous y emmène. C'est simple : de beaux meubles, un beau grand lit avec sa moustiquaire, une chambre d'enfant avec des lits superposés, une petite salle de bain mais quelques soucis électriques et pas d'eau chaude. « 15000 francs » nous annoncent-ils. Cela semble raisonnable, mais avons-nous seulement le choix ? Il est 20h30 et nous tâchons de dormir malgré le disc jockey qui en dehors de notre ballet funéraire et de la messe abreuve, en cette période de deuil, la forêt et ses habitants de musique chrétienne nuit et jour.

Vers 7h15, je m'apprête à aller dans un village assister à la fin de deuil du chef Étienne et à l'arrestation du futur chef. Je gardais néanmoins mon pantalon rougi et ma chemise à bas prix car la route promettait d'être poussiéreuse. J'ai alors, dans la clarté du matin, pu saisir l'organisation de la chefferie : la cour d'honneur au centre avec derrière la maison du roi et ses nombreux salons dont la salle des crânes où sont prises avec les notables les grandes décisions. Sur la gauche, se trouve jouxtant les appartements du roi, le petit village avec les cases des différentes femmes du roi. Elles sont organisées autour d'une cour et la vie, je vais le découvrir, semble assez conviviale entre toutes ces femmes et ces princes et princesses nés de différentes mamans. Sur la droite, il y a aussi un bâtiment réservé aux notables mais je n'ai pas compris si c'étaient des bureaux ou des chambres pour les occasions où ils doivent rester la nuit lors des événements importants. Plus haut, il y a déjà les cases d'apparat pour des fêtes traditionnelles. Je logeais un peu en retrait, face aux appartements royaux sur le versant. Derrière, dans la forêt sacrée, Dieudonné m'explique qu'il y a la case où l'on rencontre les esprits de la tribu. C'est là que le jeune roi arrêté passe les premiers mois de règne en compagnie d'une ou deux reines. Cet endroit est réservé aux initiés, c'est-à-dire surtout aux chefs et aux notables. Une maman nous a invités pour le petit déjeuner, il s'agit en fait de quelques tranches d'ananas. Mais cela m'a permis de voir la joyeuse animation de cette partie de la chefferie. La plupart des personnes sont sur le seuil de leur maison et discutent entre elles. Nous, on nous a cachés dans la case. Il y a un salon avec une petite cuisine et deux pièces dont l'une était particulièrement fréquentée par les femmes. Elle devait être petite mais les femmes étaient toujours au moins cinq ou six dans celle-ci, salle de bain ? salon pour les femmes ? je n'ai pas demandé, je m'appliquais à manger ma tranche d'ananas piquée au bout d'une fourchette et dont le jus dégoulinait sur mes mains et sur le sol.

8h et quelques minutes. Nous souhaitons arriver dans le village Litagli avant le début des cérémonies, pour avoir une bonne place. Certains disaient que la cérémonie commencerait à onze heures, d'autres que le couronnement aurait lieu entre quatorze et seize heures. Mais avant de partir, il ne fallait pas oublier, crime de lèse majesté, de saluer le Roi. Nous réapparûmes dans les appartements royaux pour remercier Sa Majesté et lui faire part de nos projets pour la journée. Il devait présider l' « arrestation » du nouveau roi, c'est même lui qui devait élire le successeur d’Étienne avec le conseil des notables. Mais d'abord, il y avait l'inhumation de la Reine Anne.

Nous prîmes une mototaxi pour aller dans la ville voisine de Dschang et goûtâmes déjà un peu de poussière. On nous avait prévenus que la piste pour Litagli n'était praticable qu'à moto et en voiture haute. Nous cherchâmes donc deux mototaxis pour monter et descendre par delà les collines jusqu'au village. C'est alors un petit Paris-Dakar par monts et par vaux, ma moto suivant celle de Dieudonné et rencontrant de nombreuses autres motos. Il y avait des ornières, des pierres, des carrefours où je ne pouvais deviner qu'en dernière seconde si nous obliquions à droite ou à gauche. Il y avait partout les champs, le bocage Bamiléké, les raphias dans les thalwegs, des hameaux nombreux et de la vie partout. Heureusement que je n'avais comme bagage qu'un petit sac à dos et une bouteille d'eau.

Après six kilomètres, au bord d'un ruisseau, on découvre des échoppes de fortune et leurs casiers de bières et de limonades, constructions éphémères en raphias où sur les bancs les premiers clients venus pour la cérémonie étanchaient leur soif. On ne peut pas vraiment  parler d'un  village mais plutôt d'une série de hameaux distants de quelques centaines de mètres, dirigés par le même chef et partageant la même case communautaire. La chefferie avait d'ailleurs été transférée par le feu Roi Étienne pour être plus centrale par rapport à ses sujets. Aux sommets des collines vivent aussi des éleveurs de bœufs récemment sédentarisés, les Bororos, qui semblent juste tolérés par les Bamilékés. Nous avons cherché en vain un vigneron pour goûter du vin de palme ou de raphias. Nombre de cousins et de reines nous saluèrent. Ils étaient honorés de ma présence et me souhaitaient la bienvenue.

Nous nous sommes alors assis dans la case communautaire plutôt vers l'avant pour assister de près aux cérémonies. Il y avait des enfants qui dansaient et chantaient au son d'un tambour. D'abord une messe a été célébrée par trois prêtres. Il semble que le Roi Étienne se soit fait baptiser quelques mois avant sa mort, ce qui explique cette présence catholique. La chorale de jeunes filles animait la louange mais la soliste faisait un usage un peu pénible du microphone. Puis, ce fut l'attente, longue, du Roi Momo, animée seulement par quelques pitreries de gardiens royaux habillés de toile de jute, masqués et armés de deux grands bâtons. Ces derniers organisaient la foule pour laisser de la place à la cérémonie et dégager un chemin au Roi. Ils s'amusaient aussi à faire peur aux enfants et à réclamer de la musique traditionnelle au disc jockey qui se focalisait décidément vers des chants prosélytes chrétiens. Dieudonné regardait souvent l'heure, inquiet des possibilités de retour à Yaoundé ou d'hébergement à Dschang. Mais une arrestation d’un roi, cela ne se vit pas tous les jours. « On peut être heureux d'en avoir vu une dans sa vie » .

Vers 13h, une délégation de chefs arriva. Le speaker prit la parole annonçant la venue imminente du Roi Momo sans lequel la cérémonie ne pouvait avoir lieu. Il expliqua aussi les différentes phases. D'abord, l'arrivée du Roi Momo, puis la danse des reines du Roi défunt et leur cris de tristesse, suivie des témoignages d'éloges à propos du Roi défunt par le chef de l'Association culturelle, par le Patriarche, par une représentante des enfants du chef et puis par un chef voisin. Ensuite, on rassemblerait les enfants du Roi, les gardes royaux masqués monteraient la garde afin qu'aucun d'eux ne puisse s’enfuir. Sa Majesté Momo se retirerait avec les notables et les chefs de deuxième rang pour délibérer avec les esprits et désigner celui de ses enfants dans lequel le Roi Étienne se réincarnerait. Dès leur retour, l’élu serait arrêté, enlevé par les gardes et conduit à la case de la forêt sacrée.

reinesLes reines du feu roi Étienne de Litagli rompent le deuil

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