François de Closets a zéro faute !

Après avoir stigmatisé dans des livres à succès la fracture du « modèle social » français, l'imposture informatique, le divorce entre le peuple et les élites ou les faiblesses du système scolaire, le journaliste et essayiste François de Closets publie Zéro faute, écrit pour partie avec l'orthographe traditionnelle, pour partie avec l'orthographe réformée. Il y plaide pour une simplification, tout en explicitant les freins culturels qui, selon lui, retardent la réforme proposée. Entretien.

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Haro sur François de Closets ! Racontant l'histoire du français depuis son apparition jusqu'à la bataille homérique que fut la réforme de 1990, l'auteur de Zéro faute dénonce la « dictature » d'une graphie en décalage avec la phonétique - et son corollaire, la diabolisation de la faute. Une orthographe dont il défend la simplification, pas uniquement parce que, comme il l'explique, son apprentissage l'a fait beaucoup souffrir, mais tout simplement par pure logique rationnelle. Sans pour autant vouloir aller plus loin, comme on lui en fait le procès avec autant de mauvaise foi que de malhonnêteté intellectuelle.

De Closets ne dit pourtant pas autre chose que ce que prônent les linguistes et sémiologues, tels Alain Rey, Claude Hagège, ou Jean-Marie Klinkenberg, à savoir qu'il est nécessaire de simplifier l'orthographe, codifiée à partir du XIVe siècle et rapidement contestée, « prisonnière d'une double logique phonétique et graphique », pleine d'incohérences et d'aberrations. Mais l'auteur de Zéro faute doit affronter des attaques virulentes, notamment sur les blogs, de la part de gens qui, pour la plupart, ne l'ont manifestement pas lu. Et qui, question de principe, refusent que l'on touche à la sacro-sainte orthographe française. Car la réformer, c'est s'attaquer à la France, à sa culture, à son histoire, à ses racines. Et, bien sûr, encourager l'inclinaison à la paresse de nos chères têtes blondes. Nous avons donc donné la parole à l'accusé.

En vous « attaquant » à l'orthographe, vous avez déclenché un fameux tollé. Comme si vous touchiez à l'identité française elle-même.

François de Closets : Je suis viscéralement attaché au français. Sans prétendre être un grand styliste, je crois servir correctement ma langue. Mais je ne comprends pas ce tollé à propos de l'orthographe alors que, comme je le rappelle dans les premiers chapitres du livre, on laisse dans l'indifférence générale, sans que ce soit dénoncé dans aucune grammaire, le français s'altérer avec les disparitions du mode interrogatif et du futur. Or cette altération touche la langue dans ce qu'elle a de plus fondamental: son mode de sociabilité. «Quand nous reverrons-nous?» ou «On se revoit quand?», ce n'est pas la même chose. Dans un cas, on est face à un rapport civilisé qui laisse ouvert la réponse. Dans l'autre, on se soucie uniquement de diffuser le message. On est ainsi passé d'une langue littéraire à un langage de communication. Ceux qui restent indifférents à cette dégénérescence, tout en s'emportant pour des histoires de redoublements de consonnes, de traits d'union ou d'accents circonflexes, sont des dévots et non des  fidèles. Ceux-ci sont en effet attachés à l'essence d'une chose, ceux-là aux détails. Pour moi, l'orthographe est à la langue ce que le rituel est à la religion: ce n'est pas l'essentiel, ça peut varier sans dénaturer l'ensemble.

C'est un vrai paradoxe: à l'instar de la majorité des écrivains et des enseignants, les Français, comme de nombreux Belges francophones, quelle que soit leur classe sociale, sont très attachés à l'orthographe, aussi complexe soit-elle. Sa réforme n'est vraiment défendue que par les spécialistes, les sémiologues, lexicographes et linguistes.

François de Closets : Les langues commencent à l'oral et se fixent à l'écrit. L'écrit est le pôle stable de la langue et doit être défini par une autorité, contrairement à l'oral formé par l'usage. Or l'orthographe française impose, par sa difficulté, un effort d'apprentissage énorme. Il pourrait dès lors sembler raisonnable de la simplifier. Mais non, car cet effort est justement le prix que les gens y attachent. C'est un fantasme. Toute simplification entraîne l'impression d'une perte, d'un effort accompli pour rien. Une réforme de l'orthographe est en réalité un cadeau fait par ceux qui savent écrire une langue à ceux qui vont apprendre à l'écrire.

Vous rappelez que l'écriture mise en place à la fin du Moyen Âge par des scribes de formation universitaire, qui la surchargent de consonnes pour la rapprocher du latin, est « destinée à l'œil et non à l'oreille ». Avec pour résultat que le français, dont la prononciation s'est progressivement éloignée de la langue mère sous l'influence germanique, « ne s'écrit plus comme il se prononce »,  contrairement à l'italien ou à l'espagnol par exemple.

François de Closets : Les scribes, qui voulaient en effet rappeler que cette langue venait du latin, se sont même parfois trompés. Il existe toutes sortes de cas où l'étymologie est fantaisiste - « pomme », venant de « poma », et « donner » de « donare » devraient par exemple s'écrire avec un seul « m » et un seul « n ». Et si, au XIIIe siècle, le « s » est conservé dans des mots comme « tesmoigner », « tempeste », « chasteau » ou « teste », alors que, comme l'a découvert Bernard Cerquiglini, il ne se prononce plus, c'est pour faire « belle escripture » comme le recommande le plus vieux traité d'orthographe français. Cela ne répond donc pas à un souci phonétique ou grammatical mais purement esthétique. D'ailleurs, lorsque l'Académie française, au milieu du XVIIIe siècle, décide de le remplacer par un accent circonflexe, déjà utilisé par des imprimeurs à l'étranger, les puristes s'insurgent violemment sous prétexte que la langue perd de sa beauté.

Or ce que l'on appelle la beauté d'une graphie, c'est l'accoutumance. Se construit autour d'elle un environnement symbolique et imaginaire qui rend tout changement profondément perturbant. Mais certains mots ayant été écrits de plusieurs façons différentes depuis le XVe siècle, pourquoi celle que nous connaissons serait-elle plus belle que les précédentes?

C'est en 1835, à la demande de l'État français qui veut une forme fixe et intangible, que l'Académie codifie une orthographe qui est globalement la nôtre aujourd'hui, réintroduisant notamment des lettres qui avaient été supprimées.

François de Closets : Il est évident que l'État a fait un hold-up sur l'orthographe en décidant que toute forme différente de celle du dictionnaire de l'Académie, que ce soit en écriture privée ou publique, serait fautive. A partir de cela, défendre l'usage n'a plus de sens puisque tout ce qui n'est pas conforme est fautif. La langue est restée figée jusqu'à la réforme de 1990 qui a réintroduit l'usage en admettant une forme différente pour certains mots - ce qui d'ailleurs existait déjà : clé/clef, paie/paye, lis/lys, trucage/truquage, etc.

Quel rôle va jouer l'écriture phonétique des SMS sur les générations futures ?

François de Closets : C'est une phonétique sauvage qui, à mon avis, ne préfigure pas l'écriture de demain. Ce n'est pas une langue mais une notation intra-générationnelle. Son influence sur le français est à un autre niveau: des gens qui, toute leur jeunesse, ont joué avec les graphies, ne pourront plus trouver au fond d'eux-mêmes ce respect quasi fétichiste pour les graphies canoniques. C'est pour cela que je pense que le temps des simplifications est terminé. Ce n'est pas en simplifiant l'orthographe aujourd'hui que l'on résoudra la crise actuelle, il fallait le faire il y a cent ans. Cette crise est largement liée à l'apparition de l'écriture électronique qui a pour effet secondaire de détruire la notion de faute. Tout simplement parce que l'on fait avec elle ce que l'on n'avait jamais imaginé faire avec l'écrit: de la conversation. Il faut dès lors regarder ce qui se passe aujourd'hui et chercher une solution dans l'avenir et non dans le passé.

Michel Paquot
Octobre 2009

 

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Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.

 


 

 

François de Closets, "Zéro faute. L'orthographe, une passion française", Ed. Mille et une nuits, 280 p.