Claude Schmitz est un jeune Bruxellois, né en 1979. Diplômé en 2004 à l'INSAS en section mise en scène, il écrit (des partitions scéniques et non des textes) et monte un spectacle en 2006 auquel beaucoup de critiques s'intéressèrent : Amerika. Dans le cadre du Festival Émulation, le Théâtre de la Place permet aux Liégeois de (re)découvrir ce spectacle (les 5-6-7/10/2009). Actuellement, il travaille notamment sur le 2e volet du projet Fare Thee Well Tovarich Homo Sapiens du Groupov, Mary Mother Frankenstein (qui sera présenté du 18 au 22 mai 2010 au Théâtre National à Bruxelles et la saison prochaine au Théâtre de la Place). Claude Schmitz s'exprime sur son travail.
À propos de la part d'autobiographie dans ses créations
Je suis une éponge. Dès lors, mes créations sont le rejet de ce que j'ai absorbé et qui rejaillit, chaque fois, d'une autre manière, dans d'autres formes. Ce sont autant de strates dans lesquelles on peut déceler beaucoup de références à des événements qui sont très personnels. Les exemples sont évidemment très nombreux : dans The inner worlds, je me suis inspiré d'un portrait qu'on avait fait de moi quand je suis petit. En retrouvant ce portrait, je ne me suis pas du tout reconnu, je me suis beaucoup interrogé : qu'est-ce qui s'est perdu depuis ce temps pour que je ne me reconnaisse pas ? Tout le spectacle est parti de cette représentation de moi.
Ça, c'est important. Mais il y a évidemment des mentions débiles ou plus anecdotiques, par exemple ma grand-mère me donnait systématiquement des paquets de 10 snickers le dimanche soir quand j'allais à l'internat. J'ai eu du coup un dégoût pour ces biscuits, mais j'en recevais toujours autant. Dans The inner worlds, il y a un personnage qui bouffe des snickers pendant tout le spectacle. Pendant 10 minutes, il s'étouffe pour finalement mourir à cause de cette cacahuète restée coincée.
Donc, il y a des petits règlements de compte très anecdotiques, mais également des éléments plus profonds.
Un théâtre hermétique pour les spectateurs ?
Je ne pense pas, même si les spectacles se répondent énormément, ils font référence à tout un imaginaire de mythes, de contes ou des fantasmes et des peurs qui sont très profondes. Je pense donc que, même si le spectateur ne comprend pas rationnellement, il ressent des choses. J'essaie de faire en sorte que le spectacle reste assez ouvert. Je ne pense pas que je fasse des œuvres de communication, je fais un travail, même s'il y a beaucoup d'éléments personnels, assez ouvert pour que l'imaginaire du spectateur puisse se greffer dessus et se raconter des histoires entre les « zones d'ombre », on va dire. Mais il y a toujours un début, un milieu et une fin : la structure est toujours assez classique, c'est ce qui est dedans qui n'est pas classique. La distribution est importante aussi : les acteurs que je choisis proviennent de milieux aussi différents que leur théâtralité. Il y a donc souvent des frictions. C'est ça qui m'intéresse parce que ça amène une fragilité, une réalité, une tension.
En tant que spectateur, j'aime bien me confronter à des choses qui m'échappent, qui sont mystérieuses, que je ne comprends pas. Moi c'est le vertige qui m'intéresse, le moment où on ne comprend plus.
On est dans une époque où on demande de faire des spectacles à message. Je suis tout-à-fait contre : il n'y a pas de message. Il y a par contre un cadre très clair là-dedans. C'est un dialogue ou une confrontation avec le spectateur. Je lui demande d'avoir un rôle actif.
À propos de son rapport au monde dans le théâtre
Est-ce que mes spectacles sont poreux par rapport à la réalité ? Je ne sais pas. Je pense en tous cas que pour Amerika, c'est très clair : c'est situé après le 11 septembre 2001. Mais si on fait une lecture politique, au 1er degré, du spectacle, c'est une catastrophe. À un moment donné dans le spectacle, il y a une table qui explose, c'est une sorte d'éjaculation : ça raconte quelque chose d'assez profond sur la table familiale qui éjacule à la tête du père. Je ne sais pas exactement ce que c'est, mais c'est quelque chose de très profond quant à la figure patriarcale. En assistant à cette scène, certaines personnes, en tenant compte du titre Amerika, se sont dit : « C'est l'ouragan Katrina ! ». C'est arrivé rarement. Ce que je demande au spectateur c'est de s'abandonner, d'écouter ce qu'il se passe ailleurs que dans le rationnel.
Quelques réflexions sur le processus de création
Il n'y a pas de règle pour moi, je n'ai pas de méthode du type : « il faut mélanger les comédiens professionnels avec des amateurs » ou encore « il me faut de l'interdisciplinaire ». Ça ne m'intéresse pas du tout ; ce qui m'intéresse c'est de faire quelque chose... qui soit fort. Après ça, tout est bon. Chaque projet devrait se renouveler, chaque projet devrait inventer sa propre méthodologie. Je ne comprends pas les gens qui disent avoir une méthode et qui l'appliquent depuis 20 ans de la même façon. C'est une angoisse de se confronter au nouveau ou quelque chose comme ça, sans doute. L'angoisse d'être bousculée. Sur le projet Frankenstein [ndlr : projet avec le Groupov], il y a 15 acteurs, j'en connais bien 3 ; les autres, je les connais peu ou pas du tout. Donc, ce qu'il va se passer je n'en sais rien. Ce sera peut-être catastrophique, très bien ou moyen, je n'en sais rien ! Un projet c'est une guerre à gagner. C'est une rencontre ou une confrontation, ça dépend des personnes, entre personnes. C'est pour cette raison que je ne choisis pas les acteurs pour leur virtuosité, mais pour ce qu'ils sont. Ainsi, Arié Mandelbaum, qui travaille beaucoup avec moi, incarne toujours des personnages qui n'arrivent pas à assumer, incarner leur rôle. Or il se trouve qu'il n'est pas comédien professionnel. Du coup, quand on le voit sur scène, le spectateur voit qu'il a des difficultés à incarner son personnage qui lui-même a des difficultés à incarner son rôle. Quand je dis tout ça ici, ce n'est pas la révélation d'une manipulation de ma part vis-à-vis de lui : on en a déjà parlé, il le sait. Par exemple, il interprète un shérif qui n'arrive pas à incarner le pouvoir, un nain qui n'arrive pas à chercher du miel pour son petit et à transmettre la sexualité. La réalité (l'interprète) rejoint ainsi la fiction (le personnage) : c'est magnifique !
Le rôle du metteur en scène dans l'interprétation de ses spectacles
Je n'ai pas envie d'expliquer mes spectacles, de donner des interprétations... ou plutôt ce n'est pas mon rôle. Finalement, demande-t-on à un peintre d'analyser ses peintures ? Si on lit les entretiens de Bacon avec Leiris, on voit que les questions font 4-5 lignes et les réponses 2.
La dramaturgie sert à donner un cadre de sens, mais à l'intérieur de ça il continue à y avoir des choses que je ne maîtrise pas. Le jour où je maîtriserai tout dans mes spectacles au niveau de la compréhension, alors je crois qu'ils seront vides, qu'ils n'auront plus de sens. Je revendique de ne pas devoir occuper ce rôle. Un exercice comme celui qu'on fait aujourd'hui est toujours difficile pour moi parce que j'ai toujours l'impression de trahir ce que je fais. D'autres par contre le font très bien, mais je ne comprends pas comment ils font.
Laura Van Brabant
Octobre 2009
Laura Van Brabant est chercheur en Histoire et analyse du théâtre à l'Université de Liège.