La pensée théologico-politique de Charlemagne

In nomine sanctae et individuae Trinitatis

L’invocation verbale fut introduite en tête des diplômes carolingiens après le couronnement impérial. La toute première formule carolingienne fut trinitaire. De 801 à 813, Charlemagne inaugura tous ses diplômes impériaux par la formule In nomine Patri, et Filii et Spiritus Sancti. Cette formule était la traduction latine de celle dont usaient les empereurs d’Orient depuis la crise iconoclaste sous Léon l’Isaurien (r. 717-741). Cette insertion est une trace parmi d’autres de l’influence byzantine à la chancellerie carolingienne mais dépasse, dans sa portée idéologique, le stade de la simple imitation. Heinrich Fichtenau a justifié ce choix en soutenant, fort à propos, que l’invocation trinitaire fut considérée par les Carolingiens comme inhérente à la fonction impériale. On pourrait ajouter que la préférence marquée pour une invocation divine plutôt que christique devait témoigner de l’orthodoxie des Francs remise en cause durant la querelle adoptianiste. Mais, en outre, il faut probablement se demander si l’arrivée à la cour impériale du traité d’Alcuin n’a pas joué un rôle déterminant dans cette « révolution diplomatique ». Le De fide n’aurait-il pas contribué à convaincre Charlemagne que la promotion de la doctrine trinitaire était un devoir impérial ?  Si la chronologie des événements et des documents de l’époque est trop vague pour que nous puissions l’affirmer avec certitude, le constat d’une multiplication des exhortations impériales à croire en la Trinité contemporaine de l’insertion de la nouvelle invocation diplomatique est indéniable.

Charlemagne et Louis le Pieux

charlemagne et louis le pieux1À la mort de Charlemagne, Louis le Pieux abandonna l’invocation trinitaire au profit de l’invocation christique in nomine domini dei et salvatoris nostri Jesu Christi. Heinrich Fichtenau  a soutenu de manière assez convaincante que cette innovation correspondait à une modification de la conception du pouvoir impérial. Louis le Pieux ne régnait plus sur des Lombards, des Aquitains ou des Alamans, il régnait sur des Chrétiens. Contrairement à son père qui, sous l’influence d’Alcuin, considérait la foi en la Trinité comme la seule voie de Salut, Louis le Pieux gouvernait un peuple réuni par et dans le Christ. Son fils Lothaire (795-855), héritier du titre impérial, adopta une formule similaire. C’est le deuxième fils de Louis le Pieux, Louis le Germanique (ca. 806-876), qui releva l’invocation trinitaire dans un diplôme du 19 octobre 833, sous la formule in nomine sanctae et individuae Trinitatis qui n’est pas sans rappeler l’intitulé de la somme théologique d’Alcuin. Or, en cette année 833, il se révoltait contre son père. À son avènement en 840, le cadet de Louis le Pieux, Charles le Chauve (823-877) opta lui aussi pour l’invocation trinitaire, témoin non seulement de son refus de rester dans l’ombre de Lothaire mais aussi de son souci de se placer sur un pied d’égalité avec celui de Louis le Germanique. L’abandon de l’invocation trinitaire dans la chancellerie française quelques décennies plus tard correspond bien à la volonté du roi de Francie occidentale de rompre avec la vieille tradition impériale carolingienne. Dans le même ordre d’idées, le maintien de l’invocation trinitaire à la chancellerie impériale germanique jusqu’au 12e siècle devait souligner une certaine continuité politique.

Conclusion

Les querelles théologiques de la dernière décennie du 8e siècle contribuèrent à ramener la Trinité divine au cœur de la foi catholique dans l’espace chrétien soumis à la domination franque. Dans le climat de traque du païen et de l’hérétique de cette époque, l’adhésion aux articles du credo et leur restitution de mémoire devinrent plus qu’une question religieuse ; elles s’imposèrent comme un gage de fidélité à l’empereur. L’unification du territoire exigeait l’harmonisation de la doctrine et l’unanimité de la foi. Le sentiment d’unité des peuples soumis à la domination carolingienne devait se nourrir de la conviction de tous les chrétiens d’être en communion de foi avec Rome et l’Empereur. Charlemagne le confessa d’ailleurs clairement dans l'une de ses admonitions (801-812) : l'Église devait être une société composée de tous les hommes de bien qui seuls seraient sauvés et auraient droit au royaume de Dieu ; les pécheurs non repentis étaient voués, dans ce monde, à l'excommunication et à la damnation lors du Jugement. Ainsi peut-on compter, à l'aube du 9e siècle, la prédication de la doctrine trinitaire parmi les piliers du programme d’unification de l'empire carolingien.

Florence Close
Septembre 2012

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 Florence Close est chercheuse en histoire médiévale. Ses recherches portent sur le rapport entre le politique et le religieux au haut moyen âge.

 

Voir son parcours chercheur sur le site Reflexions.

Voir aussi l'article de Herni Deleersnijder : La foi trinitaire, ciment de l'Empire carolingien.



florence close




L’auteur tient ses notes  à la disposition du lecteur qui souhaiterait en prendre connaissance.
Florence Close, Uniformiser la foi pour unifier l’Empire. Contribution à la pensée théologico-politique de Charlemagne, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 2011. (mémoire de la Classe des Lettres, LIX, n°2081, 366p.)

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