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Travaux de vacances pour nos enfants

10 juillet 2013
Travaux de vacances pour nos enfants

devoirs de vacances

Les vacances d’été ont incontestablement un effet négatif sur ce qui nécessite répétition et exercices. Cependant, l’essentiel des acquis scolaires se situe dans les apprentissages en profondeur, qui, eux, ne souffrent pas de l’effet vacances.  Les écoles proposent quelquefois des devoirs d’été ou des classes de remédiation. Les éditeurs de cahiers de vacances font de plus en plus pression sur les parents, tandis que se multiplient les offres de « coaching », dont les qualités pédagogiques, l’efficacité des méthodes, l’inadéquation quelquefois au programme scolaire de l’enfant et le coût prohibitif pour de nombreuses familles laissent souvent les spécialistes de psychopédagogie, comme Dominique Lafontaine, pour le moins perplexes.

 

Vacances j’oublie tout ?

Les enfants oublient-ils une partie de ce qu’ils ont appris à l’école pendant les grandes vacances ? La réponse est incontestablement oui. Des études très sérieuses se sont penchées sur la question et il existe même des articles (on parle de méta-analyses) qui font la synthèse des nombreux travaux publiés à ce sujet1. Le dispositif de mesure est simple : un même test standardisé est administré aux élèves à la fin de l’année et à la rentrée scolaire ; on peut ainsi mesurer l’ampleur des progrès ou des oublis intervenus durant l’été. Il apparait ainsi qu’à l’issue des vacances, les élèves ont en moyenne perdu l’équivalent d’environ un mois de scolarité.

Ces chiffres moyens, s’ils indiquent une tendance, n’ont toutefois qu’un intérêt limité. Les choses deviennent plus intéressantes dès lors que l’on aborde la question de qui oublie quoi. Ainsi l’effet négatif des vacances d’été est plus marqué pour les mathématiques que pour la lecture ; c’est en calcul mental et en orthographe qu’il est le plus fort. Dans certains domaines, les enfants progressent même au cours des mois d’été ; il en va notamment ainsi pour le vocabulaire et la résolution de problèmes en mathématiques. Autrement dit, ce que les enfants oublient, ce sont les apprentissages de routine, qui s’appuient sur des exercices de répétition réguliers. Pendant les vacances, le drill s’arrête et les performances régressent. C’est logique : il en va ainsi de tout entrainement, qu’il s’agisse de sport, de musique ou de tables de multiplication.

helpEn revanche, les apprentissages qui s’appuient sur la compréhension ou des démarches cognitives élaborées – compréhension en lecture, compréhension de concepts mathématiques – ne sont guère affectés. On peut même enregistrer des progrès à l’issue des vacances, dans la mesure où les vacances offrent aussi l’occasion de se livrer à des activités cognitives « de loisir » (tout devoir de vacances mis à part) telles que la lecture. Des progrès sont ainsi relevés dans le domaine du vocabulaire, liés à la lecture, à la pratique d’activités non scolaires, et au processus de maturation.

Tous les enfants sont-ils affectés par ce phénomène d’oubli ? La réponse est à nouveau positive. Toutefois, il apparait que certains oublient plus que d’autres. L’oubli ne semble lié ni au sexe, ni à l’origine ethnique de l’élève, ni à son quotient intellectuel. En revanche, il est lié à l’origine socioéconomique. Les élèves d’origine défavorisée « oublient » ou régressent davantage,  en particulier dans le domaine des apprentissages langagiers. En mathématiques, on n’observe pas de différence significative selon l’origine socioéconomique. Enfin, l’effet négatif des vacances d’été se marque davantage pour les élèves plus âgés ; le break estival est plus préjudiciable au premier degré du secondaire qu’au début de l’enseignement primaire. Ces différences selon le domaine et les caractéristiques des individus peuvent s’expliquer par les occasions d’apprendre qui se présentent pendant les vacances. Ainsi, il existe peu d’occasions de pratiquer les mathématiques pendant les vacances en dehors de tout exercice organisé, alors que c’est le cas pour le langage et la lecture. On sait par ailleurs que les occasions d’enrichir son langage et notamment son vocabulaire sont plus nombreuses et plus porteuses d’apprentissage dans les familles plus favorisées, où davantage de livres sont disponibles à la maison et où les encouragements à lire sont nettement plus fréquents.


 

1 Cooper, H., Nye, B., Charlton, K., Lindsay, J. & Greathouse, S. (1996). The effects of summer vacation on achievement test scores: a narrative and meta-analytical review. Review of educational research, vol. 66, 3, pp. 227-268.

Faut-il supprimer les vacances?

summerschoolCette question sous forme de boutade ouvre le débat des solutions à apporter à ce problème qui n’est pas neuf. Les solutions peuvent être de deux ordres : collectives (il s’agit alors de mesures prises au niveau du système éducatif ou des institutions pour des groupes nombreux, voire l’ensemble des élèves) ou individuelles (décisions prises par les parents ou les écoles, pour leurs enfants ou des élèves particuliers).  Envisageons d’abord les solutions collectives. Elles sont principalement de deux types : changer le calendrier scolaire et organiser des cours pendant l’été. Les modifications apportées au calendrier scolaire (raccourcir les vacances d’été et allonger les « petites » vacances) débouchent sur de modestes effets positifs.

coaching2Sans surprise, l’effet est surtout favorable pour les enfants qui « oublient » le plus pendant l’été – les enfants d’origine modeste. On sait par ailleurs, mais c’est un autre débat,  que les syndicats d’enseignants et pas mal de parents, sans parler des professionnels du tourisme,  sont hostiles à de telles modifications.

 Dans un certain nombre de pays – ce n’est pas habituel chez nous, des cours d’été (summer school) sont également organisés, notamment dans les quartiers défavorisés, sans que cela soit lié à un échec avéré ; il peut s’agir de programmes de remédiation, d’enrichissement ou d’approfondissement. Tous les élèves bénéficient de l’implication dans ce type de programme, même si les élèves d’origine favorisée progressent davantage. Les résultats sont davantage bénéfiques dans le domaine des mathématiques, domaine le plus affecté par le break d’été. Ce type de cours d’été organisé dans les quartiers défavorisés apparait donc comme une solution avantageuse et équitable, qui permet à tout le moins d’éviter que les différences d’acquis selon l’origine sociale s’accentuent à la faveur des vacances.

Devoirs de vacances : avec modération !

Pas mal d’écoles secondaires, au lieu d’examens de « repêchage », proposent désormais des travaux de vacances. C’est en principe une bonne chose, en particulier pour certains types d’apprentissage qui nécessitent l’acquisition de démarches cognitives et la compréhension de concepts et dépassent donc la simple mémorisation, en cohérence avec les programmes actuels en Fédération Wallonie-Bruxelles qui ciblent des compétences. Pour que ces travaux soient bénéfiques, il faut évidemment qu’ils soient corrigés et que l’élève qui a connu des difficultés reçoive un feedback à leur propos. Un risque de dérive non négligeable existe, c’est que les élèves qui peuvent trouver des ressources nécessaires dans leur entourage fassent faire leurs travaux par les parents, amis, frères et sœurs ainés… C’est monnaie courante. Voici donc une mesure a priori « intelligente » qui soulève de sérieuses questions en matière d’équité.  Une solution est de faire présenter ce travail par l’élève, ce qui permettra de vérifier s’il s’est approprié le travail réalisé.

cahier de vacances2Autres possibilités, relevant d’initiatives individuelles cette fois. Pas mal de parents sont inquiets ou anxieux face au vide des vacances d’été ; les éditeurs scolaires et organismes privés l’ont bien compris. Dès la fin de l’année scolaire,  les grandes surfaces et certaines librairies déploient des rayons entiers de cahiers de vacances pour occuper utilement nos chères têtes blondes pendant les longs mois d’été. Que faut-il en penser ? D’abord que c’est un marché lucratif et que les éditeurs ou organismes de coaching ont tout intérêt à alimenter l’anxiété des parents. Ce n’est pas parce qu’un produit est proposé en abondance et de manière visible qu’il est bon ou utile pour le corps ou pour l’esprit…

En ce qui concerne les plus petits d’abord, soulignons ce paradoxe. Les parents qui s’inquiètent sont plutôt d’origine favorisée, et n’ont en réalité guère de motifs de s’inquiéter. Les apprentissages les plus routiniers souffrent certes un peu de l’effet vacances, mais comme il s’agit d’apprentissages acquis par entrainement et répétition,  le retard est vite rattrapé en début d’année. De surcroit, tous les élèves étant potentiellement concernés, les enseignants prennent cela en compte lorsqu’ils commencent l’année. En outre, l’essentiel des acquis scolaires n’est pas là, mais bien dans les apprentissages en profondeur, qui ne souffrent pas de l’effet vacances.

cahier de vacancesFaire des cahiers de vacances ne peut pas nuire2, mais quel est l’intérêt, fondamentalement, surtout si l’enfant n’en manifeste pas l’envie ? Pour un bénéfice pédagogique faible, des tensions psychologiques sont à craindre. Des conflits du type de ceux connus autour des devoirs en cours d’année risquent en effet de s’inviter au cœur de l’été, alors que c’est peut-être justement le temps d’être un enfant, de jouer, de s’ennuyer, de découvrir d’autres activités sportives ou ludiques, de cesser d’être un écolier aux yeux de ses parents – ce qui fait tout le bien du monde, pour un enfant qui peine à l’école ou n’attend pas la rentrée avec impatience.

Si les problèmes d’apprentissage en cours d’année dépassent ce simple déficit d’entrainement, on peut hélas craindre que les cahiers de vacances ne puissent rien résoudre, là où des enseignants n’ont pas abouti. Il s’agit en effet essentiellement d’exercices et s’exercer longuement ne sert à rien si la compréhension fait défaut ou si un obstacle cognitif ou psychologique entrave le cours normal des acquisitions. Dans ce cas, le problème, s’il est réel, doit être affronté avec d’autres moyens que des devoirs ou des travaux de vacances, qui ne sont pas conçus à cette fin. Il doit être confié à des professionnels de l’éducation, pas à des livrets formatés.

 


 

2 Rappelons que les programmes d’enseignement sont différents selon les réseaux – ce que certains parents ignorent – et qu’ils ne sont pas du tout les mêmes en France. Les cahiers de vacances proposés par des éditeurs français peuvent donc être décalés (soit trop simples, soit trop complexes, selon les matières) pour des écoliers belges.  

Coaching : devoir de résistance

coachingEn ce qui concerne les élèves plus âgés pour lesquels les offres de coaching privé se multiplient et pas seulement pendant les vacances, une attitude réservée me parait de mise. Le coaching n’est absolument pas réglementé et n’importe qui peut s’improviser coach. Ces cours ou suivis individualisés ont souvent un coût important. Il n’est pas exclus que certains organismes proposent un accompagnement de qualité, mais rien ne le garantit. Une vérification élémentaire doit porter sur les titres et qualités pédagogiques du personnel ou des soutiens/cours en ligne. Un rapide coup d’œil sur quelques offres en ligne montre que la notion de coaching est mise en avant, et que peu d’informations  sont disponibles sur les titres des personnes chargées du suivi (on parle de coach, de conseillers, d’étudiants, qui ont suivi telle ou telle formation ou certification, mais sans référence précise). Des approches psychopédagogiques au nom ronflant et potentiellement attractif sont vantées. Pour un professionnel du champ psychopédagogique, de telles appellations sont plutôt de nature à susciter la méfiance que l’inverse.

Rappelons qu’en matière d’éducation et de formation, ce n’est pas la quantité passée à effectuer des travaux à caractère scolaire qui importe, mais bien la pertinence et la qualité des tâches, exercices ou encore méthodes proposés d’une part par rapport aux apprentissages à effectuer (définis par les programmes), d’autre part par rapport aux difficultés spécifiques que rencontre un élève, qui déterminera la capacité à faire progresser celui-ci en direction du but à atteindre.

guidanceEnfin, si l’étudiant fréquente l’enseignement supérieur universitaire ou non, et qu’il rencontre des difficultés,  que ce soit d’ailleurs pendant ou en dehors des vacances, la meilleure chose à faire, à mon sens, est de s’adresser aux services mis en place par les institutions3 (on pense ici aux services d’aide à la réussite que possèdent toutes les institutions d’enseignement supérieur en vertu du Décret du 18-7-2008 démocratisant l'enseignement supérieur et œuvrant à la promotion de la réussite des étudiants. Voir notre encadré ci-dessous.) et dont beaucoup de parents ignorent l’existence, plutôt que de s’en remettre à des services proposés par des organismes privés.

Ci-contre : Un cours préparatoire à l'ULg

Au niveau sociétal, la multiplication de ces offres de coaching individuel soulève de nombreuses questions4. Elle tend à accréditer l’idée qu’un suivi individualisé à domicile payant est désormais une nécessité pour réussir son parcours scolaire et à rendre les parents les premiers responsables des apprentissages scolaires, tout en les déchargeant de la corvée et des conflits (le coach s’en occupe) générés par le travail scolaire. Alors que c’est l’école d’abord qui doit assumer cette responsabilité. Les devoirs et travaux à domicile ne sont qu’un complément au travail effectué en classe et en principe, pour des raisons d’équité, tous les enfants devraient être à même de les effectuer seuls, sans le soutien rapproché d’un adulte. Recourir à ce type de service passablement onéreux revient donc à aider à faire fonctionner vaille que vaille un système éducatif dont les enquêtes PISA5 ont montré le caractère peu efficace et surtout fortement inéquitable, tout en le rendant encore plus inéquitable – on aura compris que seuls les parents relativement aisés peuvent s’autoriser ce type de dépense. C’est aussi s’inscrire dans un processus d’individualisation et de marchandisation croissantes de l’éducation qui ne laisse pas d’inquiéter. Un système éducatif où l’enseignement serait gratuit – c’est en principe le cas – mais la réussite payante, et dès lors davantage à portée des enfants dont les parents peuvent financièrement soutenir cette réussite, est-ce bien l’école que nous voulons pour nos enfants ?

 

Dominique Lafontaine
Juin 2012

crayongris2Dominique Lafontaine dirige le service d’Analyse des systèmes et des pratiques d’enseignement à l’ULg, où elle enseigne notamment les processus d’enseignement des matières scolaires de base. Ses recherches concernent principalement l’efficacité et l’équité des systèmes éducatifs et s’appuient sur les évaluations internationales des acquis des élèves.


 


 

3 À l’Université de Liège, c’est la mission du Service Guidance Études et aussi en partie des assistants pédagogiques (enseignants du secondaire détachés à l’université pour aider à la transition secondaire-université).

4 Pour une analyse critique du coaching, voir A. Chevalier et S. Grosjean, Éduca(tion) à domi(cile), une pointe de l’iceberg qui nous pique au vif ! Sur le site de Changements pour l’égalité  ou Le coaching scolaire fâche les profs sur Enseignons.be

5 Voir Lafontaine, D. & Monseur, C. (2011). Quasi marché, mécanismes de ségrégation sociale et académique en Communauté française de Belgique. Education comparée. ;  Monseur, C. & Lafontaine, D. (2012). Structure des systèmes éducatifs et équité : un éclairage international. In M. Crahay (Ed.), Pour une école juste et efficace. Bruxelles : De Boeck. 


À l’ULg, les futurs étudiants peuvent participer à des cours préparatoires avant la rentrée pour revoir certaines matières, réfléchir à leur méthode de travail… Toute l’année, le Service Guidance Étude propose gratuitement aux étudiants de les aider par rapport aux méthodes de travail, à la gestion du temps, à la préparation des examens... lors de consultations individuelles, de séminaires collectifs et dans le cadre d’un système de coaching en ligne. Des séances d’exercice, de remédiation… sont proposées toute l’année dans les différentes facultés. Après les sessions,  des séances de consultation des copies, de feedback sur les examens passés ou de « questions-réponses »… sont proposées, mais sont limitées dans le temps. Dans certaines facultés, les étudiants peuvent également compter sur le soutien des assistants pédagogiques (enseignants du secondaire détachés à mi-temps à l’ULg) pour mieux comprendre les matières, travailler les prérequis…

D'autres services sont aussi à la disposition des étudiants pour soutir leur réussite et leur épanouissement.



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