Assouline au service de Simenon

Relisant l'ensemble de l'œuvre du romancier liégeois, ainsi que sa correspondance et les interviews qu'il a données tout au long de sa vie, Pierre Assouline a composé, à l'occasion du vingtième anniversaire de la mort de l'écrivain,  un Autodictionnaire Simenon qui permet d'approcher l'auteur de Pedigree par un biais original.

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Ouvrir cet « Autodictionnaire » est un piège. Une entrée renvoyant à une autre - et il y en a des centaines -, ces quelque sept cent pages, complétées par une bibliographie, une filmographie et diverses annexes, sont la promesse de plusieurs heures de lecture passionnante. En émerge Simenon tel quel, révélant le regard qu'il porte principalement sur son travail d'écrivain et sur la littérature, mais aussi sur lui-même ou sur les autres.

Romancier (Lutetia, Le Portrait, Les Invités), biographe (de Gallimard, Hergé, ou Cartier-Bresson), essayiste (L'Épuration des intellectuels), blogueur (La République des Livres), Pierre Assouline est familier de l'univers du créateur de Maigret dont il a signé une biographie en 1992. Nous l'avons rencontré.

 

Pierre Assouline, « Autodictionnaire Simenon », Editions Omnibus,  809 pages
 
 

 

À quand remonte votre rencontre avec Georges Simenon ?

Pierre Assouline : Je lui ai écrit il y a vingt-cinq ans, à peu près, lorsque je travaillais sur la biographie de Gaston Gallimard. Sa réponse commençait par « Mon cher confrère », ce qui m'a beaucoup touché, moi qui avais tout juste trente ans, écrit peu de livres et n'étais pas connu. Il m'a dit qu'il ne recevait plus personne, tout en répondant à mes questions. Nous avons ainsi noué une relation épistolaire, je lui envoyais mes livres, etc. Plus tard, je lui ai dit mon souhait de le rencontrer pour lui parler de mon projet d'écrire sa biographie. Sa compagne m'a téléphoné, je suis allé à Lausanne où l'on s'est vu pendant une matinée. Il est mort trois mois après.

On parle toujours du Prix Nobel qu'en 1937 il imaginait recevoir dix ans plus tard. Mais quel regard portait-il sur la reconnaissance ?

Pierre Assouline : Je pense qu'il aurait aimé avoir des prix pour prouver qu'il était écrivain à sa mère, qui n'avait aucune considération pour lui. Mais il n'en a eu aucun parmi les principaux de la rentrée. En 1936, il a raté le Goncourt avec Le Testament Donadieu (Gallimard). Jusqu'à une certaine époque, il a aussi espéré le Nobel. Ainsi qu'être publié dans la Pléiade, ce qui est venu bien plus tard [en 2003 et 2009, ndlr]. Je crois que, dans les dernières années de sa vie, à partir du moment où il a cessé d'écrire, il s'en fichait, il avait tourné la page.

Maigret lui a apporté le succès et l'aisance financière mais l'a aussi emprisonné dans l'image d'un auteur de romans policiers.

Pierre Assouline : C'est le cas typique d'une créature étouffant son créateur. Ses premiers Maigret, publiés au début des années 1930, ont tout de suite rencontré un succès énorme. Et dès 1932-33, le cinéma s'est emparé du personnage, notamment Renoir (La Nuit du Carrefour) et Duvivier (La Tête d'un homme). Il a fallu du temps pour que l'on s'aperçoive qu'il écrivait aussi autre chose. Notamment, dans les années 1930-40, chez Gallimard où il a conscience d'être dans le « saint des saints » de la littérature. Et où il est cornaqué par André Gide fasciné par le romancier, lui qui sait tout écrire, sauf des romans. Pour Simenon, qui a arrêté l'école à 15 ans et demi, qui était petit reporter à 16 et a publié sous divers pseudonymes deux cent romans populaires, entrer chez l'éditeur de Proust, c'était un choc culturel.

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Était-il un fanfaron ou un modeste ? Il se définit comme un « artisan » qui « raconte des histoires ».

Pierre Assouline : C'est vrai qu'il aimait dire qu'il avait eu dix mille femmes, qu'il gagnait énormément d'argent - alors que l'argent est tabou chez les écrivains, etc. À ses débuts, il avait une énergie considérable. Dans ses reportages pour « Paris-Soir », il aimait bien parler de lui, se mettre en avant. À côté de ce Simenon, il y en a un autre qui n'a jamais cessé d'exister, celui qui est né en Outremeuse, le quartier populaire de Liège. Sa famille, ce sont ceux qu'il appelle les « petites gens » auxquels il est toujours resté fidèle, y compris dans ses romans.

Selon lui, « Écrire est une vocation pour le malheur ». N'est-ce pas paradoxal pour celui qui a tant écrit et connu la reconnaissance ?

Pierre Assouline : Il a écrit pour conserver un équilibre relatif. C'est un grand instable. Quand il a commencé, il a dit que s'il n'avait pas écrit, il aurait tué quelqu'un. Et je le crois volontiers. Son écriture a calmé ses pulsions de mort. Et ce n'est pas parce qu'il écrit vite qu'il écrit facilement. La rapidité n'a rien à voir avec ça. Les jours d'écriture sont pour lui des jours de souffrance. Il est d'ailleurs absurde de juger de la qualité d'un livre sur le temps qu'il a fallu pour l'écrire. Chacun possède son propre rythme.

Il détestait le mot « atmosphère » sans cesse accolé à son style.

Pierre Assouline : « Un roman sans atmosphère est un roman mort-né », disait-il. Son univers évoque généralement la pluie, le brouillard. Or il ne pleut pas sans cesse chez lui, le brouillard n'y est pas omniprésent. Au contraire, certains de ses romans qui se passent en Amérique latine, sous les Tropiques ou en Afrique sont gorgés de soleil. C'est en fait le cinéma qui, dès le début, a popularisé cette image. Et si beaucoup de ses livres sont sombres, pessimistes sur la société, ils sont optimistes sur l'homme lui-même.

Était-il sincère dans ses déclarations ?

Pierre Assouline : Totalement. Dans les interviews qu'il a données, il répétait toujours la même chose, il n'y a pas de vérités successives. C'était un instinctif, pas un intellectuel essayant de se construire une légende.

D'où vient son succès actuel ?

Pierre Assouline : De son génie. Et de son intemporalité. Un Japonais ou un Sénégalais peuvent s'identifier très facilement à toutes les époques et situations de ses livres. Sur deux cent romans, seuls deux sont situés historiquement, Le clan des Ostendais et Le Train. Ils se passent tous les deux en juin 1940 pendant la débâcle à La Rochelle.

Michel Paquot
Septembre 2009

 

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 Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.

 


 

Lire également le « Dossier Simenon » mis en ligne à l'occasion de la parution du 3e volume des oeuvres de Simenon dans la Pléiade.
 
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