« J’ai trois amants. Je n’en aime aucun. Je ne peux me libérer d’aucun. Deux d’entre eux veulent tuer le troisième. […] Ils savent tous que je les hais. Chacun de ces hommes dort avec la mort. Je me hais moi-même parce que je suis la mort. Mais eux m’aiment. » La situation décrite dans ces quelques lignes par « la Tarnowska », sombre héroïne mise en scène par l’écrivain juif hongrois Hans Habe, semble une synthèse de sa destinée. Prise dans l’œil d’un cyclone amoureux fort complexe et malsain, cette jeune fille russe défraya vers 1910 la chronique italienne lorsqu’elle se vit arrêtée, ainsi que ses supposés complices, pour le meurtre de son fiancé, le comte Pavel Ergrafovitch Kamarowski. Un roman de mœurs, un de plus, sera-t-on tenté de croire… Près de 500 pages, arrivera-t-on jamais au bout ? Et comment ! La Tarnowska est de ces livres que l’on trousse avec passion, qui fait pousser des « rhôôôlala » de délectation maquillée en indignation. Le portrait de femme fatale fixé ici à l’eau-forte au terme d’une enquête minutieuse permet aussi de saisir la différence entre réalisme et vérisme. « La plupart de ces personnages ont vécu. Les autres, je l’espère, auraient pu vivre », écrivait l’injustement méconnu Habe dans son avant-propos.
Frédéric Saenen
Juin 2012