« The Planets Connected », de James Brown

Les planètes du système solaire ont inspiré au début du XXe  siècle le compositeur anglais Gustav Holst. Un siècle plus tard, c'est la musique de Holst elle-même qui a donné naissance au cycle de tableaux du peintre américain James Brown.

« The Planets Connected » : l'artiste américain James Brown, né en 1951 à Los Angeles, est un spationaute d'un genre nouveau. Complètement immergé dans la musique des « Planètes » du compositeur anglais Gustav Holst (1874-1934), James Brown a entrepris d'en faire le thème d'une série de peintures de grands formats. À la galerie Triangle Bleu de Stavelot, il en a montré quelques-unes, neuf exactement, au printemps 2009. Cette série de peintures, huile et crayon sur toile, de 2,10 m de haut sur 3,40 m de long, avait trouvé là un cadre remarquablement approprié, d'une beauté monacale, pour dévoiler toute son aura de mystères. « Je travaille sur une ou deux toiles en même temps, et de très grand format. Elles font partie d'un ensemble autour du thème des planètes, en effet... » explique James Brown. « Mais vu leur format, c'est très difficile pour moi de les voir toutes en même temps. Les lieux d'exposition capables d'accueillir des œuvres de grande dimension, ce n'est pas évident à trouver. Aussi ai-je été complètement séduit par l'espace de la galerie Triangle Bleu, à Stavelot. »

Les peintures de James Brown font apparaître des formes organiques, des points et des ovales, des lignes et de petits traits minutieusement déposés et reliés entre eux sur la toile. L'ensemble évoque également les vues au microscope d'organismes cellulaires. Dans des dégradés de teintes roses, jaunes, grises ou bleues, les formes existant ainsi sur la grande surface de la toile dessinent d'étonnantes galaxies, où l'automatisme gestuel du peintre s'allie à une composition quasiment architecturale de l'espace. Étonnantes constellations, qui atteignent la force de conviction de certaines « Constellations » peintes autrefois par Miro, mais dont le tracé reste étonnamment léger et sensuel : un ciel d'étoiles comme on en connaît peu. Intitulée « The Realm of Chaos and Light », cette série prend place dans le « grand œuvre »  entrepris par l'artiste. Mais comment est née chez James Brown cette idée d'un cycle pictural répondant au cycle musical de Gustav Holst ?

« C'est une musique que j'affectionne énormément, je la connais depuis très longtemps... mais curieusement, je ne l'ai vraiment redécouverte qu'il y a six ans, en Belgique, au cours de la diffusion d'un concert à la télévision. Et je me suis dit qu'il serait intéressant d'essayer de travailler picturalement sur ce que cette musique suggérait, sur ce qu'elle m'apportait. Puisqu'on évoque aujourd'hui neuf planètes, j'ai pensé à composer des séries de neuf tableaux. En fait, la neuvième planète intégrée au système solaire, Pluton, n'a été découverte qu'en 1930... et Holst a composé à partir des connaissances de son temps, soit sept des huit planètes. Moi je travaille à partir des connaissances d'aujourd'hui, donc sur neuf planètes.

Mon travail, commencé en 2004, comportera neuf séries de neuf tableaux, avec des formats qui vont jusqu'à 5,5 mètres par 3 mètres, ce qui est vraiment énorme. J'en ai trois qui sont terminées, il m'en reste donc encore six à faire. C'est long, mais je voulais véritablement m'imposer une œuvre difficile, presqu'impossible en fait : terminer 81 tableaux sur ce thème des « Planètes ». Un jour, un ami qui est aussi mon fournisseur de châssis et de toiles m'a dit : « Je vous amène une toile de très grand format, accrochez-vous à cela, car si vous voulez donner toute la mesure à votre projet c'est maintenant. Sinon, à votre âge - j'ai 58 ans -, vous n'aurez jamais le temps d'y parvenir. » Et finalement il avait vraiment raison : c'est un immense défi, on voit si on est capable de le faire... et si on n'en est pas capable, on le voit aussi ! »

James Brown-The Realm of Chaos and Light 6
 James Brown, peinture de la série « The Realm of Chaos and Light - 2008/2009 » . DR/Courtesy Galerie Triangle Bleu - Stavelot

Un univers d'étoiles et des vagues de nuages 

La question du format, lorsqu'il s'agit de représenter l'univers, s'est évidemment posée dès le début du projet. « Le grand format permet tout simplement de donner l'idée de l'immensité de l'univers, mais aussi, et en même temps, de l'enfermement dans cet univers. C'est cela l'univers des planètes : tout ce qui est hors de nous et au-delà de ce que nous connaissons ici sur terre. J'ai essayé de réaliser une sorte de laboratoire sur cette idée complètement abstraite que nous avons de l'univers et de ce qu'il contient. » 

« Mais je ne peux pas dire que mon travail pictural ait pour objet de donner vie à une métaphysique, ou même à une spiritualité. On peut s'intéresser aux mythologies, aux religions, à l'hindouisme comme Holst le fit lui-même, mais ce n'est pas cela qui m'importe. Au mieux, en tant qu'artiste, je suis peut-être le véhicule, mais certainement pas le créateur d'une telle dimension. »

Ce qui fascine également dans le projet de l'artiste, c'est son caractère extrêmement organisé. « On ne peut pas vraiment calculer un univers d'étoiles et de comètes, mais on peut former des vagues de nuages », précise James Brown. « C'est une peinture que je qualifierais d'organique, qui naît de certaines formes que j'ai expérimentées au préalable dans des céramiques, et donc je ne peux pas la contrôler à 100%. Il y a une part de la composition qui m'échappe complètement. On veut tout maîtriser, c'est un cauchemar de détails et de signes qui finirait par rendre fou, et en même temps c'est assez aléatoire, il y a des échanges entre les fonds, les traits, les formes, tout cela dirige la composition à travers moi. Un langage se crée, et ce qu'il faut faire alors, comme en musique, c'est savoir l'écouter et suivre ses conseils. C'est dans un sens la musique de Holst, que j'écoute de façon presque obsessionnelle, qui m'a conduit à cela. C'est loin d'être une musique juste quelconque, écrite au moment de la Grande Guerre, et puis voilà. Non, on l'entend aussi dans de nombreux films, chez Hitchcock et Orson Welles notamment : elle est tellement poétique, dramatique, romantique, intense, qu'elle paraît inépuisable. » 

Artiste discret, mais reconnu internationalement, passé dans les années 1970-80 par les Beaux-Arts à Paris, glissant de la céramique et des sculptures de métal au collage sur vieux papiers, et de la peinture aux travaux imprimés, James Brown a été mis à l'honneur en 2002 au Centre de la gravure et de l'image imprimée, à La Louvière. Il y présentait notamment de superbes planches gravées, réalisées par ses soins. « J'adore les livres, également de manière quasi obsessionnelle », confie-t-il en souriant. « Avec ma femme Alexandra, nous avons fondé une maison d'édition, « Carpe Diem », à Oaxaca au Mexique, où je vis et travaille. Le livre nous permet d'entrer en relation avec d'autres artistes, d'autres écrivains, qu'autrement nous n'aurions jamais rencontrés. » Et une autre manière, également, d'explorer et faire découvrir de nouveaux univers.

 

Alain Delaunois
Septembre 2009

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Alain Delaunois est journaliste à la RTBF et maître de conférences au Département Arts et Sciences de la Communication.