Inaugurée le 18 septembre 2009, la nouvelle gare des Guillemins a pris sa place dans le réseau à grande vitesse nord-européen. Quand, en 2010, tous les chantiers reliant la Belgique à ses voisins seront achevés et toutes les nouvelles lignes mises en service, une douzaine de villes importantes seront en connexion rapide : la Cité ardente sera à 40 minutes de Bruxelles-Midi, à 2 heures de Paris et de Francfort, à 3 heures de Londres.
Liège-Guillemins occupera par ailleurs une place centrale au sein de l'Euregio Meuse-Rhin : avec ses nouvelles infrastructures, elle sera gare-relais pour deux grandes villes de l'espace eurégional : Hasselt en Limbourg belge et Maastricht en Limbourg hollandais. On comprend la taille des enjeux qui se nouent autour de la modernisation des installations liégeoises, sur le plan technique bien sûr mais également symbolique. Il fallait pouvoir signifier le nouveau dynamisme de la ville. Et, très tôt, on prévoit, pour rencontrer cet objectif, de confier l'édification de la gare à un architecte actif sur le plan international.
L'ancienne gare de 1958
Un atout maintenu : l'arrivée en ville
Le site par contre est maintenu. Sa localisation à proximité du centre ville apparaît comme un atout déterminant. L'option d'exurbanisation des installations est vite abandonnée. Il y aura des voix pour plaider en faveur de la mise au point d'une plate-forme multimodale (train + train à grande vitesse + transport routier + avion) à Bierset mais elles ne seront pas entendues. Heureusement sans doute : l'exemple de la gare de Satolas, à proximité de Lyon, qui est conçue sur ce modèle - par le même architecte que celle de Liège - et qui n'a jamais fonctionné de façon optimale, devrait suffire à donner un contre-argumentaire explicite.
On ne reconstruit pourtant pas sur les fondations des bâtiments de 1958. Les études montrent en effet que l'axe de la nouvelle gare doit être établi à 150 mètres de celui de l'ancienne, vers la Meuse. Cette disposition apporte une solution à un double problème : il fallait d'une part pouvoir aménager des quais rectilignes plus longs et plus larges et ce afin de faciliter l'accès des trains ainsi que l'embarquement des voyageurs ; il fallait d'autre part être en mesure d'établir une liaison harmonieuse avec le réseau autoroutier tout proche.
Les choix esthétiques de Calatrava
Dès sa conception, le projet ferroviaire s'est enrichi d'une volonté de travailler avec une dimension architecturale significative. En mai 1996, Euro Liège TGV lance un avis de marché de procédure négociée au niveau européen afin de trouver l'architecte responsable de la volumétrie et de l'esthétique de la gare. C'est Santiago Calatrava (Valence, 1951) qui, en octobre de la même année, est désigné. Ce choix témoigne d'une volonté de confier la mission à une valeur sûre. Depuis le début des années 1990, Calatrava est reconnu comme un des créateurs les plus représentatifs de son temps. Dans le catalogue de l'exposition que le Museum of Modern Art de New York lui consacre en 1993, il est qualifié comme appartenant « au patrimoine le plus remarquable de l'ingénierie du XXe siècle » et associé à d'illustres précédesseurs comme Robert Maillart, Pier Luigi Nervi, Eduardo Torroja et Félix Candela. Son expérience en matière d'ouvrage d'art dont le pont Alamilla à Séville (1992) et de constructions de grandes dimensions comme la tour de communication de Montjuic à Barcelone (1992) constitue un atout majeur de sa candidature... d'autant plus qu'il a déjà à son actif la conception de trois gares : Stadelhofen à Zurich (1990), Satolas près de Lyon (1994) et Oriente à Lisbonne, qui est achevée pour l'Exposition internationale de 1998. Ce n'est pas non plus par hasard qu'il a été choisi pour concevoir la plate-forme multimodale du site de Ground Zero où les travaux ont commencé depuis 2005.
Photo © Alain Janssens 2009/PGUn des traits majeurs de la manière de Santiago Calatrava tient dans l'expressivité des structures qu'il dessine. Le titre - Structure and Expression - de son exposition new yorkaise est tout à fait explicite. Cela situe son œuvre dans une nébuleuse stylistique que Michel Ragon, dès le début des années 1960, qualifie d' « architecture-sculpture » et où on peut faire entrer d'autres ténors de la création contemporaine comme Zaha Hadid ou Ron Arad. Réunis autour de recherches sur les valeurs plastiques ou l'organicité des formes, ils prolongent les découvertes de grands précurseurs comme Le Corbusier ou Eero Saarinen.
Absence de façade et ouverture à la lumière
C'est le même type de développements que Calatrava poursuit à Liège. Plus qu'une œuvre de circonstance, la gare des Guillemins est un geste fort, tendu par le dessin de la voûte qui couvre un vaste espace sévèrement rythmé par les arcs ondulants au-dessus des voies de chemin de fer. Parce qu'aucun mur ne vient la fermer, cette structure définit une osmose très sensible entre la gare et la cité... « Il n'y a plus de façade, ce qui est, à mon sens, une transgression fondamentale. A la place d'une façade traditionnelle, on ne trouvera que de grandes ouvertures signalées par des auvents métalliques surplombant la place sur laquelle donne le bâtiment » (S. Calatrava).
L'édifice y gagne une transparence mais surtout une fluidité encore renforcées par l'importance des surfaces vitrées et la blancheur des bétons et des parties métalliques. Avec les qualités de lisibilité conférées par l'ordonnance symétrique de l'ensemble, on tient peut-être un édifice qui jalonne la carrière de l'architecte espagnol. Il semble en effet ici résoudre le hiatus relevé par certains observateurs entre l'évidence formelle des ponts qu'il dessine et la complexité parfois excessive de ses grands édifices. Calatrava s'explique d'ailleurs sur cette question en relevant qu'étant donné « la simplicité de fonction d'un pont, la marge d'intervention est très limitée » alors que dans une gare, on est confronté à « au moins seize types de décision, dont chacune exerce un impact esthétique ».
La Cité ardente attendait un signal fort : elle l'a. La gare de Calatrava est aussi un objet médiatique. On ne compte plus les publications qui la documentent, qu'elles soient locales ou internationales, qu'il s'agisse d'éditions spécialisées ou de grande vulgarisation, de critiques laudatives ou négatives. Ses promoteurs misent sur sa puissance à communiquer le nouveau dynamisme de la région liégeoise. On se prend à chercher un « effet Bilbao »... Il faudra encore patienter avant de pouvoir calculer les retombées effectives.
En attendant, on reconnaîtra que l'impact sur la physionomie de Liège est énorme. À l'échelle des quartiers environnants, la construction des nouvelles installations ferroviaires devrait en outre être en mesure de fonctionner en tant qu'outil de requalification. Avec l'achèvement des travaux, c'est le projet proprement urbanistique qui va prendre forme : d'abord la place triangulaire juste devant la gare, confiée à l'architecte Daniel Dethier. Mais la polémique est déjà engagée ailleurs. Voici plus de 9 ans, Euro Liège TGV et Santiago Calatrava livraient un plan de remodelage du quartier des Guillemins autour de la construction d'une large esplanade bordée d'immeubles symétriques, allant de la gare jusqu'à la Meuse. Beaucoup d'observateurs jugent le projet inadapté à l'environnement en place, trop monumental et irréaliste dans sa démesure. On n'est pas loin de chercher à adapter la ville à l'architecture de Calatrava. Daniel Dethier a présenté une contre-proposition plus circonstanciée dans son analyse tant du tissu urbanistique de l'ensemble du site que de son activité humaine existante et souhaitable pour l'avenir. Affaire à suivre...
Pierre Henrion
Septembre 2009
Pierre Henrion est historien de l'art, il enseigne à l'E.S.A-Académie des Beaux-Arts de Liège. Il est aussi conservateur au Musée en plein air du Sart Tilman et collaborateur d'Art&fact.