Le spectre du « syndrome place Saint-Lambert »

Tout devrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes : pour le nouveau quartier des Guillemins, Liège a son plan, formalisé dans un Périmètre de Remembrement urbain (PRU) et le financement adéquat. Mais nombreux sont les politiques et les citoyens à craindre pour l'avenir des abords de la gare le « syndrome place Saint-Lambert ».

« On a détruit tout un quartier sans avoir un réel projet », estime François Schreuer, au sein de l'association citoyenne UrbAgora. « On risque dès lors, comme pour la place Saint-Lambert, un gouffre urbanistique, sans moyens d'assumer les conséquences des destructions, et où l'argumentaire spéculatif domine. Nous pensons que le plan d'aménagement de l'architecte Daniel Dethier est bon. Vu les circonstances et la difficulté du dossier, c'est le seul qui tienne la route d'un point de vue urbanistique. Sur l'esplanade, Dethier met du vert, de la circulation piétonne, des vélos. Son projet retisse des liens entre les deux parties d'un quartier coupé en deux par les expropriations. Mais depuis toujours, il est la cible d'un véritable tir de barrage : d'Euro-Liège TGV et du clan Daerden, notamment. Et jamais l'autorité communale n'a été en mesure de taper du poing sur la table pour défendre son projet, pourtant avalisé démocratiquement par son conseil communal. »

La toute nouvelle députée wallonne Écolo Veronica Cremasco ne dit pas autre chose. Comme conseillère communale liégeoise et chercheuse au LEMA (Laboratoire d'Études Méthodologiques Architecturales) de l'ULg (deux postes dont elle est démissionnaire), cette spécialiste de l'aménagement du territoire n'a cessé de tempêter contre le processus à l'œuvre aux Guillemins : «  En urbanisme, il est toujours préférable que les grands projets architecturaux naissent de projets de ville plutôt que le contraire. À Bilbao, le Guggenheim est venu en cerise sur le gâteau d'un projet urbanistique. Mais dans le cas de figure contraire, il faut au moins avoir une vision. Aux Guillemins, on a sans arrêt cafouillé, tâtonné, de manière plutôt pathétique. Comment le citoyen peut-il encore faire confiance au politique si celui-ci n'a pas de ligne de conduite ? »

Illustration de ce manque de vision, estiment ceux-là, la valse-hésitation sur l'expropriation du haut de la rue Paradis. Ces maisons ne sont pas dans le PRU, et donc théoriquement intouchables. Mais sous la pression de ceux qui, à la suite de Calatrava, espèrent une esplanade plus grandiose, il a été un temps envisagé d'exproprier là-bas aussi une trentaine de maisons supplémentaires. Avec l'arrivée d'Écolo à l'Exécutif wallon et la situation budgétaire actuelle, ceci n'a cependant plus guère de chance d'arriver. Autre exemple : on ne sait toujours pas à l'heure actuelle si le futur tram liégeois, qui passera sous la « casquette » de la gare, y arrivera par la future esplanade ou par la rue des Guillemins.

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Autour d'une cathédrale du XXIe siècle

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Cité parmi ceux qui tentent de faire évoluer le plan Dethier, le ministre wallon (PS) de l'Économie Jean-Claude Marcourt réagit : « On a fait un très mauvais procès à Santiago Calatrava, qui n'a jamais déposé de projet concret, mais fait des propositions. L'idée du canal était irréalisable, mais quand il est venu avec son projet d'esplanade, il a fait avancer le dossier. J'ai toujours pensé qu'il ne fallait pas  aller trop vite avec la réorganisation du quartier, pour pouvoir s'adapter au geste fort qu'est la gare. » Ceci dit, cet habitant du quartier rejoint les interlocuteurs précédents sur un point : « Il était primordial d'avoir cette gare au centre-ville, mais on a fait avancer ce dossier par petits pas, sans jamais véritablement faire état d'une vision pour le quartier et ses habitants. Il est temps d'expliquer au gens quel est notre objectif collectif. On a construit une cathédrale du XXIe siècle. Il faut maintenant faire de ses abords un lieu de vie. »

Ces « lieux de vie », c'est donc la promotion immobilière privée qui va devoir les aménager, dans le cadre strict (emplacements, gabarits) fixé par le plan Dethier et le PRU : un ensemble hôtelier juste à côté de la place triangulaire devant la gare, des blocs de logement en arrière d'îlot, des blocs de bureaux, notamment sur les terrains appartenant à Fedimmo, et un « bois habité » autour de la propriété Balteau à l'arrière de la rue Paradis. Si le privé est sollicité, tous les terrains à l'exception de ceux de la Cité des Finances, appartiennent au public. Pour encadrer la promotion, lancer les marchés, adjuger, la Société de Développement de Liège Guillemins (SDLG) doit être créée par les propriétaires publics. On y retrouvera la Ville de Liège, la SNCB, la Région et la Société de Leasing et de Financement (SLF), une intercommunale liégeoise. On l'attend depuis plus d'un an, mais elle semble enfin en passe de devenir opérationnelle. Et son rôle va être primordial pour éviter que la cerise « Calatrava » ne chapeaute un bien piteux gâteau.

« Maintenant que la gare est là, tout l'enjeu pour les Liégeois est sur le quartier », martèlent en chœur Veronica Cremasco et François Schreuer. « Et tout reste à faire ». Or, la Ville de Liège ne sera pas majoritaire dans cette SDLG. Et c'est la Région qui accordera les permis dans le PRU. « Cette gare n'est pas la gare des Liégeois, qui n'y ont d'ailleurs pas mis un euro », tempère le bourgmestre Willy Demeyer (PS). « C'est la gare TGV de la Wallonie et de l'Euregio. Nous devons concilier cela avec l'intérêt de nos habitants, dans une ville traumatisée par des chantiers interminables et un lourd passé financier. Et pour ça, nous avons besoin d'une sécurité financière et juridique, d'un cadre. Même s'il peut être contraignant. »

Liège a-t-elle retenu les leçons du passé ? Évitera-t-elle le « syndrome » ? L'avenir commence demain.

Pierre Morel
Septembre 2009

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Pierre Morel est journaliste indépendant. Il collabore notamment au quotidien « Le Soir ».

 




Photo © Alain Janssens 2009/PG