Une gare qui va transformer la ville

L'inauguration de la monumentale gare TGV dessinée par Santiago Calatrava marque la fin d'un chantier de neuf ans (soit trois de plus qu'initialement prévu) et l'aboutissement d'un combat politique d'importance. Mais pour les Liégeois, il ne s'agit que du début de l'histoire.

Car la gare va être mise en service dans un quartier meurtri, où l'on a exproprié pas moins de septante propriétés et des rues entières. Aujourd'hui, les autorités communales liégeoises, le bourgmestre Willy Demeyer en tête, affirment vouloir voir sortir de terre « dans les cinq ans » un tout nouvel axe urbain, reliant la gare au complexe commercial de la Médiacité, un kilomètre et demi plus loin. Le dossier a vécu un  parcours politique chaotique et polémique, et de nombreuses incertitudes planent encore sur l'émergence de ce nouveau quartier. Mais il est incontestable que l'arrivée de la gare aura, au final, servi de moteur à une véritable révolution urbanistique à Liège.

Tout est parti du « déplacement » de la nouvelle gare de près de deux cent mètres et de la nécéssité, dès lors, d'aménager devant celle-ci un tout nouvel espace public. « Dès la fin des années 90, une étude avait été commandée par la SRWT (Société Régionale Wallonne des Transports) à l'architecte Claude Strebelle pour imaginer cet espace », rappelle l'échevin liégeois de l'Urbanisme Michel Firket (CDH).  « En 2000, l'architecte propose une place triangulaire, avec l'aval de Calatrava ». Un Plan Communal d'Aménagement (PCA) est adopté, un plan d'expropriation est établi, et un appel d'offres européen est lancé pour désigner un auteur de projet. L'architecte liégeois Daniel Dethier le remporte. Fin 2004, la place dessinée par Daniel Dethier obtient un permis d'urbanisme, et un financement mixte Europe-Région, via les fonds Feder. « Au printemps 2005, on est prêts », reprend l'échevin. « Mais on se rend compte alors que, malgré ses dénégations, Euro-Liège TGV ne sera pas prêt dans les temps et qu'on ne peut pas entamer la construction de la place. »

Le problème, c'est que les fonds Feder doivent être utilisés avant 2008. La Ville les réoriente donc vers d'autres dossiers (le Grand Curtius, l'aménagement des voiries du quartier des Guillemins). Entretemps, Euro-Liège TGV a mis sur la place publique un projet de canal monumental entre la gare et la Meuse, issu de la fertile imagination de Santiago Calatrava. Une « irruption sauvage » pour beaucoup ; une « chance pour Liège » selon d'autres, dont l'opposition MR et quelques socialistes influents. La crispation est grande. Heureusement, une nouvelle fournée de fonds Feder est annoncée pour 2007. Irréaliste, impayable, défigurant le quartier, le projet de Calatrava est écarté, mais l'idée d'une plus large ouverture au-delà de la place triangulaire fait son chemin : il n'y a dans le chemin que la Cité des Finances, qui a de toute façon bien besoin d'une rénovation. Daniel Dethier est chargé de réfléchir à un projet d'esplanade jusqu'à la Meuse.

Le projet est présenté en 2006, affiné, et « coulé » dans un tout nouvel outil légal wallon : le Périmètre de Remembrement Urbain (PRU), adopté par la Ville et la Région fin 2007. Il permet, dans tout le quartier devant la gare, de faire fi de l'ancien PCA et d'accélérer les procédures. Que prévoit-il ?

 

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Photo © Alain Janssens 2009/PG

Un nouvel axe, de la gare à la Boverie

D'abord, la réalisation de la place triangulaire juste devant la gare. Quelque 8,7 millions de fonds Feder (soit Europe, Région et une petite participation de la Ville) ont été obtenus. Les travaux devraient débuter en 2010 et durer deux ans. Au-delà de cette place, la Cité des Finances va disparaître et libérer une large esplanade jusqu'à la Meuse. Ce qui nécéssite l'enfouissement des voies rapides qui la longent, quai de Rome. Un chantier à charge de la Région pour lequel 12,7 millions de fonds Feder ont été obtenus. Tout au bout de cette esplanade, une nouvelle tour des Finances va voir le jour, d'ici à la fin 2013, normalement. Construite par le promoteur Fedimmo, à qui la Régie (fédérale) des Bâtiments a revendu la Cité des Finances.

Cette esplanade, ce « rambla » liégeois se prolongera par une passerelle cyclo-piétonne (8,5 millions de fonds Feder) qui rejoindra le Parc de la Boverie et... le tout nouveau Centre International d'Art Contemporain (CIAC) qui doit remplacer le vieillot Musée d'Art Moderne et d'Art Contemporain (Mamac).

« L'arrivée de la nouvelle gare a été un élément déterminant de l'avancée de cette idée de transformation », explique Jean-Pierre Hupkens, échevin liégeois de la Culture. « On est à un endroit-clé, entre la gare et la Médiacité, et on imagine bien une circulation entre la gare et un pôle muséal. »

Ce Centre International d'Art Contemporain, imaginé au départ par le Groupe de Redéploiement économique liégeois (GRE), présentera deux espaces d'exposition (2.500 et 1.000 m2), divisés de façon flexible et polyvalente, mais aussi un « atelier temporaire » destiné à accueillir la jeune création locale et eurégionale. On y attend un « geste architectural fort » : l'appel à projets vient d'être lancé. Ce projet-là a obtenu 23,5 millions d'euros de fonds Feder. On espère  qu'il sera sorti de terre en 2014. Mais pour faire tourner la structure, c'est au privé qu'on fait appel pour doter une Fondation d'une quinzaine de millions d'euros. Bernard Serin, patron français de l'entreprise liégeoise CMI, y travaille.  

Faites le compte : pour doter Liège de ce grandiose « axe » gare-Boverie et créer 4,5 hectares d'espace public (« Autant que la Place Rouge », souligne Michel Firket), ce sont donc 53,5 millions d'euros qui ont été  récoltés. Encore ne s'agit-il que de la part publique. Car sur l'esplanade, il va falloir reconstruire. Des logements, des bureaux, des hôtels. C'est le privé qui devra s'en charger. Et c'est encore une autre histoire. Tout aussi polémique.

 

Pierre Morel
Septembre 2009

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Pierre Morel est journaliste indépendant. Il collabore notamment au quotidien « Le Soir ».