Shepp's blues

Variations/déviations sur les blues originaux réinterprétés par Archie Shepp dans Trouble In Mind (1980)

Dans la discographie d'Archie Shepp, un album attire l'attention de l'amateur de blues traditionnel : celui enregistré en février 1980 à Copenhague avec Horace Parlan au piano sous le titre évocateur de Trouble In Mind (réédité en 1986 par SteepleChase Productions, Copenhague et Chicago). Il y est en effet mentionné que « tous les titres » sont « traditionnels », excepté le n° 6 dû à Earl Hines : Blues In Third. Cette composition parut sur le premier album solo enregistré en 1928 par Earl « Fatha » Hines, à l'époque où il rejoignait les Hot Five et Hot Seven d'Armstrong (notes de l'album Earl Hines Plays George Gershwin, 2008).

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Si tous ces titres peuvent en effet être considérés comme « traditionnels », certains le sont au point de ne pouvoir être attachés à un artiste déterminé. Tel est le fameux St. James Infirmary, même s'il est parfois attribué à Irving Mills, alias Joe Primrose, éditeur de jazz au lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais c'est la version enregistrée par Louis Armstrong en cette même année 1928 qui paraît l'avoir popularisé. Ce classique est ici interprété en si bémol. Il appartient au type des blues en 8 mesures qui sont privilégiés dans les reprises d'Archie Shepp - et qui forment ici le groupe des interprétations les plus réussies, à mon avis. Ceci doit tenir au fait que le format réduit, par rapport au blues dit « classique » de 12 mesures, donne lieu à des pièces très denses et sans longueur même dans des tempos extrêmement lents. On va y revenir.

Auparavant, qu'il soit permis au sexagénaire de rendre ce qui leur est dû aux groupe dits « de rock » qui, dans les années ‘60, participèrent à la « British Blues Crusade » et firent connaître une musique qu'avait entrepris de populariser le skiffle de la décennie précédente. En l'occurrence, on peut encore avoir en tête la version de St. James Infirmary par les Animals. Dans le domaine propre du blues, on dit que St. James Infirmary est à l'origine du Dying Crapshooter's Blues enregistré par Blind Willie McTell, le maître de la 12-cordes (les bandes originales furent sauvées des poubelles d'un marchand de disques, Ed Rhodes, à Atlanta, dans les années cinquante). Mais Dying Crapshooter's Blues, dédié à un joueur professionnel qui mourut dans les bras de McTell, paraît, à l'écoute, assez éloigné du titre dont il est question ici - pas autant, cependant, que la version des White Stripes... qui aiment McTell. C'est à celui-ci que conduit aussi l'utilisation du thème original par Bob Dylan, puisqu'il l'a employé dans son hommage intitulé « Blind Willie McTell » (sur Bootleg Series, 1-3).

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J'avoue ne rien savoir du Courthouse Blues qu'Archie Shepp joue ici en si bémol sur une structure de 12 mesures et trois accords. Le titre aurait été créé par Clara Smith dans les années '20 : voir Daphné Duval Harrison, Black  pearls. Blues queens of the 1920s, 1990). Mais on peut imaginer que la source, là encore, se trouve chez Armstrong, qui a enregistré ce titre en même temps que Trouble In Mind et See See Rider en 1957 : voir Barry Dean Kernfeld, The Blackwell guide to recorded jazz, 1995.

Restons avec Armstrong.. Qu'il ait interprété Make Me A Pallet On The Floor sur un album intitulé Armstrong plays W.C. Handy n'implique en rien qu'il faille attribuer cette pièce au second, « Père fondateur du blues ». On ne saura jamais si le thème qu'interprète Mississipi John Hurt a un rapport avec celui qu'entendaient les auditeurs de Buddy Bolden, dont ne subsiste (que je sache) aucun enregistrement (Voir Daniel Hardie, The ancestry of jazz, 2004,  p. 194). La structure de l'interprétation de Shepp et Parlan rappelle le ragtime de Hurt, mais qu'en dire de plus ? Sinon que le thème s'offre particulièrement aux déconstructions rythmiques et harmoniques des 5e et 6e strophes.

Comme dans Courthouse Blues, c'est en si bémol que Shepp et Parlan jouent Trouble In Mind, grand classique de 8 mesures, dont ils suivent de près le thème. Mais la diversité des tonalités sait apporter au format la nécessaire variété. Ainsi, How Long Blues, en 8 mesures, est joué en ré. Si le thème n'apparaît qu'en transparence, sa simplicité est dûment préservée, agrémentée de l'une ou l'autre trouvaille harmonique inédite (du moins inconnue à mon oreille). La série do-fa-si bémol-ré-sol, c'est un accord, dis, Guy Cabay ?

vocalion

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