D'abord, il y a l'esclavage. L'Afrique violée. Les anges du politiquement correct aimeraient masquer l'évidence, bien sûr, mais tout part de là : le jazz est avant tout une musique d'esclaves, une musique superbement, éperdument rebelle. Et en 2009, lorsque, du haut de ses 72 ans, Archie Shepp monte sur scène et scande Rev, rev, revolution, sa voix - et celle, jumelle, de ses saxophones -, réinventent ces messages underground qui firent des work songs et des spirituals des vecteurs d'espoir et d'évasion ; ce Black Beauty du Duke qui épousa la cause de la Harlem Renaissance et le rêve de Marcus Garvey ; cette brûlure du be-bop qui servit de bande son aux premières grandes émeutes black des forties ; ce cri de la New Thing qui porta littéralement les luttes définitives de Malcolm X et des sixties ; et jusqu'aux scansions des premiers rappeurs montant des banlieues de la fin de ces eighties consensuelles et tièdes. Archie Shepp est l'icône du jazz militant, du jazz comme véhicule de la cause black.
Mais Shepp, c'est avant tout ce cri à travers lequel passent toute la douleur et toute l'espérance de la communauté noire américaine - un cri qui émerge de la rencontre fascinée du souffle rauque des grands ténors black (Hawkins, Webster...) et des Field Hollers, de la classe du Duke et de la virulence du preaching, du vibrato de Bechet et du jusqu'auboutisme suraigu de Coltrane, de la voix lance-flamme de Bessie Smith et des griots africains. Griot : tout est dit. Archie griot majuscule de l'art africain-américain.
Jean-Pol Schroeder
Août 2009
Jean-Pol Schroeder est Administrateur-délégué de l'asbl Maison du jazz de Liège et programmateur du festival international "Jazz à Liège".