"(Le message du jazz) raconte la souffrance d'une
masse de gens. Il parle de l'émancipation, de la destruction des ghettos et du
fascisme. Je suis un musicien de jazz noir, un père de famille noir, un
Américain noir, un antifasciste: je suis indigné par la guerre, le Vietnam,
l'exploitation de mes frères, et ma musique raconte tout ça. C'est cela la New
Thing." (Archie Shepp, in Jazz Mag 125, 1965)
D'abord, il y a l'esclavage. L'Afrique violée. Les anges du politiquement correct aimeraient masquer l'évidence, bien sûr, mais tout part de là : le jazz est avant tout une musique d'esclaves, une musique superbement, éperdument rebelle. Et en 2009, lorsque, du haut de ses 72 ans, Archie Shepp monte sur scène et scande Rev, rev, revolution, sa voix - et celle, jumelle, de ses saxophones -, réinventent ces messages underground qui firent des work songs et des spirituals des vecteurs d'espoir et d'évasion ; ce Black Beauty du Duke qui épousa la cause de la Harlem Renaissance et le rêve de Marcus Garvey ; cette brûlure du be-bop qui servit de bande son aux premières grandes émeutes black des forties ; ce cri de la New Thing qui porta littéralement les luttes définitives de Malcolm X et des sixties ; et jusqu'aux scansions des premiers rappeurs montant des banlieues de la fin de ces eighties consensuelles et tièdes. Archie Shepp est l'icône du jazz militant, du jazz comme véhicule de la cause black.
D'abord, il y a l'esclavage. L'Afrique violée. Les anges du politiquement correct aimeraient masquer l'évidence, bien sûr, mais tout part de là : le jazz est avant tout une musique d'esclaves, une musique superbement, éperdument rebelle. Et en 2009, lorsque, du haut de ses 72 ans, Archie Shepp monte sur scène et scande Rev, rev, revolution, sa voix - et celle, jumelle, de ses saxophones -, réinventent ces messages underground qui firent des work songs et des spirituals des vecteurs d'espoir et d'évasion ; ce Black Beauty du Duke qui épousa la cause de la Harlem Renaissance et le rêve de Marcus Garvey ; cette brûlure du be-bop qui servit de bande son aux premières grandes émeutes black des forties ; ce cri de la New Thing qui porta littéralement les luttes définitives de Malcolm X et des sixties ; et jusqu'aux scansions des premiers rappeurs montant des banlieues de la fin de ces eighties consensuelles et tièdes. Archie Shepp est l'icône du jazz militant, du jazz comme véhicule de la cause black.
Né en
Floride en 1937, il grandit à Philadelphie, ville bleue où sévissent Lee Morgan,
Ted Curson, Henry Grimes ou le Rhythm'n Blues. Universitaire, Shepp se passionne
pour la littérature, le théâtre, la poésie, disciplines à travers lesquelles se
développe sa conscience politique : une conscience qui explosera à travers la
musique, surtout lorsqu'installé à New-York, Archie y entend John Coltrane.
Rebelle parmi les rebelles, il fait ses débuts aux côtés de Cecil Taylor,
travaille avec Bill Dixon, le New-York Contemporary Five, puis participe aux
actes fondateurs du free-jazz, de cette New Thing qui entend rendre le jazz à
ses créateurs et à sa virulence révolutionnaire : avec Pharoah Sanders, John
Tchicai et Marion Brown, il fait partie des jeunes loups dont s'entoure Coltrane
pour l'emblématique Ascension de 1965. Il revisite l'Afrique ancestrale
autant que la soul de James Brown, pour, au milieu des années ‘70, au nez et à
la barbe des intégristes free, redécouvrir le brûlot parkérien. Sans jamais
oublier la relation ombilicale au blues et au gospel, qu'il pratique de manière
jubilatoire avec Horace Parlan.
Mais Shepp, c'est avant tout ce cri à travers
lequel passent toute la douleur et toute l'espérance de la communauté noire
américaine - un cri qui émerge de la rencontre fascinée du souffle rauque des
grands ténors black (Hawkins, Webster...) et des Field Hollers, de la classe du
Duke et de la virulence du preaching, du vibrato de Bechet et du
jusqu'auboutisme suraigu de Coltrane, de la voix lance-flamme de Bessie Smith et
des griots africains. Griot : tout est dit. Archie griot majuscule de l'art
africain-américain.
Jean-Pol Schroeder
Août 2009
Jean-Pol Schroeder est Administrateur-délégué de l'asbl Maison du jazz de Liège et programmateur du festival international "Jazz à Liège".