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La Nouvelle Poésie française de Belgique

24 August 2009
La Nouvelle Poésie française de Belgique

poetesaujourdhui

En 2007, Yves Namur et Liliane Wouters faisaient paraître une anthologie riche et précieuse consacrée aux poètes belges francophones vivants, Poètes aujourd'hui 1. En complément à cet important travail de compilation et de mise en exergue, Yves Namur, seul cette fois, nous présente La Nouvelle Poésie française de Belgique.

Il ne s'agit pas, on le devine, d'un recueil réunissant des auteurs qui proposeraient une « nouvelle » manière d'écrire la poésie et qu'il serait possible de regrouper sous la même bannière formelle, comme on l'a fait naguère pour le « nouveau roman » ou la « nouvelle cuisine » : « nouvelle » signifie ici « écrite par de jeunes poètes ». Bien entendu, la jeunesse étant un critère relatif, il a fallu tracer de façon arbitraire la fatale frontière séparant les « jeunes » des « moins jeunes ». C'est l'histoire qui a soufflé à Yves Namur la bonne date : les poètes retenus dans son anthologie sont nés en 1968 ou après. Et ce point constitue la première bonne nouvelle de cette publication : les poètes demeurent jeunes jusqu'à 40 ans, ce qui n'est pas mal, si on compare leur corporation à celle des joueuses de tennis, par exemple, qui atteignent irrémédiablement la vieillesse vers 26 ans.

Deuxième bonne nouvelle : la poésie n'est pas morte, loin de là. Si elle ne se lit guère, elle s'écrit toujours, et avec obstination : Yves Namur a réuni ici pas moins de quarante-huit poètes en Belgique francophone. « La poésie renaît ! à son âge ! », pourrait à nouveau s'écrier Desnos.

Troisième bonne nouvelle : la relève est assurée, tant les talents, multiples et variés, sont ici à l'œuvre et ne demandent qu'à s'épanouir encore davantage.

Un large panorama

Si l'on pouvait noter quelques absences regrettables dans Poètes d'aujourd'hui (notamment celle de Dominique Massaut ou de Rossano Rosi), La Nouvelle Poésie française de Belgique paraît, à première vue, très complète. Sans doute manque-t-il à l'appel les représentants du slam, mais il s'agit, si pas d'un autre champ, du moins d'un autre réseau. Pour le plaisir, citons tout de même un poète prometteur absent ici : L. I. Druart, auteur d'un recueil intitulé Morphinis paru chez Éole et défenseur d'une poésie inspirée directement de la chanson, courant peu représentée dans l'anthologie.

Yves Namur prend cependant, dans sa préface, la précaution de signaler que le meilleur auteur de cette nouvelle génération n'a peut-être encore rien fait paraître et passe par conséquent inaperçu. Dans cette perspective, celle des très nombreux jeunes poètes n'ayant jamais cherché ou n'ayant pas eu la possibilité de publier, sans doute peut-on reprocher à Yves Namur d'avoir créé un déséquilibre en ouvrant ses pages à l'un d'entre eux. Ce sera le seul reproche que nous lui adresserons et l'on aurait des scrupules à y insister au vu de l'originalité des textes de l'auteur en question (nommé Xavier Forget).

En revanche, certains poètes regroupés ici sont loin d'être de parfaits inconnus : Laurence Vielle, Christophe Van Rossom, Otto Ganz, Marie-Clotilde Roose, Hubert Antoine, Gwenaëlle Stubbe, Frédéric Saenen, Fabien Abrassart et Pascal Leclercq figuraient d'ailleurs déjà dans Poètes aujourd'hui. Et, parmi ceux qui ne s'y trouvaient pas, il faut compter Nicolas Ancion, Luc Baba et Stéphane Lambert, présents cette fois, et que l'on ne peut décemment considérer comme des anonymes, ainsi qu'Anne Penders, Olivier Coyette, Selçuk Mutlu et Ben Arès, dont les bibliographies respectives sont déjà fort éloquentes.

Portrait d'une génération ?

Est-il possible de décrire la nouvelle génération poétique qui prend corps ici ? Cela n'est pas aisé, dans la mesure où sa première caractéristique est sa grande variété, de ton, de style, de forme, de contenu. Il en allait d'ailleurs déjà ainsi de la génération antérieure, tant il est difficile de trouver un point commun aux œuvres d'Eugène Savitzkaya, de Liliane Wouters, de Jean-Pierre Verheggen, de William Cliff, de Colette Nys-Mazure et de Guy Goffette.

Contentons-nous donc de quelques remarques.

D'abord, il faut constater, une fois de plus, que la poésie est moins féminine que le roman. Sur quarante-huit poètes, l'anthologie n'a retenu que sept femmes : Laurence Vielle, Anne Penders, Marie-Clotilde Roose, Gwenaëlle Stubbe, Kathleen Lor, Amandine Peeters et Rachel De Plaen Kawende. Nous ne pouvons que regretter ici cet état de fait, qui demanderait trop de place pour être analysé en profondeur. On se consolera en soulignant la qualité des textes proposés par ces écrivaines talentueuses.

Ensuite, sur le plan formel, cette génération peut sans doute être définie par une modernité digérée. Le vers régulier est vraiment très rare dans l'anthologie. Si Régis Dangreux y a parfois recours, il lui attribue une valeur réflexive (autotélique), c'est-à-dire que la rime semble désigner la poésie parlant de poésie : elle ne se veut pas naturelle. Mais les expériences typographiques modernistes ne sont pas légion non plus, malgré Coton qui use étrangement du signe « / » et, surtout, Anne Penders, dont le texte est parcouru de lignes horizontales. Aussi, la forme la plus courante, comme le souligne Yves Namur, est-elle le poème en prose, qui a supplanté le vers libre.

Sur le plan de la tonalité, Yves Namur remarque également avec raison une tendance à l'oralité. On la voit à l'œuvre en effet chez plusieurs poètes, par exemple chez Michaël Lambert et, avec quelle virtuosité, chez Frédéric Saenen. Mais, à l'inverse, d'autres poètes n'hésitent pas à afficher la littérarité de leur textes, comme Laurent Robert avec ses très beaux « Quintils ».

Enfin, quant aux thématiques, il est impossible d'en établir un inventaire, tant elles sont diverses. Mais l'on notera que l'épanchement lyrique, dont le retour a pourtant été plusieurs fois annoncé, n'est pas à l'ordre du jour. L'expression des sentiments est timide, masquée par un humour parfois très noir (par exemple chez Théophile de Giraud), ou par un certain hermétisme. Une exception toutefois : le texte fort et déchirant, à peine tolérable, que Ben Arès consacre à la mort de son fils. Le lyrisme se fait cependant ici violence. Dans tous les cas, la nouvelle génération n'a rien de romantique.

Terminons, pour illustrer notre propos, par un poème choisi au hasard (ou presque), car une anthologie se lit dans le plaisir de la discontinuité :

Je vis dans le pays du corps interrompu, de la parole hachée où se mêlent bréchets, nervures, cartilages et tendons. Les morceaux fins, on se rue dessus dès la mort, restent les chairs vulgaires qu'on remâchent à tout cran, les phalanges passées au rasoir, courbées en deux, pliées en trois, extirpées de leur gaine.

Je viens dans le pays des viandes triturées, j'apporte les œufs, le lait, le persil et la mie, qui donnent texture et saveurs aux chairs, forme et substance aux phrases, et je pétris, malaxe, lutte pour maîtriser le flux musculeux de la langue, qui rend les mots méconnaissables, habitant du pays des corps interrompus 2.

Il me reste à encourager les lecteurs à se « ruer » sur « les morceaux fins » recueillis dans cette anthologie.

 

Laurent Demoulin
Août 2009

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Laurent Demoulin est docteur en Philosophie et lettres. Ses recherches portent sur le roman contemporain belge et français, ainsi que sur la poésie du XXe siècle.

 

 


 

 
 
1 Wouters Liliane et Namur Yves, Poètes aujourd'hui. Un panorama de la poésie francophone de Belgique, Châtelineau/Montréal, La Taillis Pré/Le Noroît, 2007, 303 p. Les deux mêmes auteurs avaient auparavant publié une magnifique anthologie consacrée aux femmes poètes en Belgique, hélas devenue difficile à trouver : Wouters Liliane et Namur Yves, Le Siècle des femmes. Poésie francophone en Belgique et au Grand-Duché de Luxembourg au xxe siècle, Bruxelles/Luxembourg, Les Éperonniers/PHI, collection « Passé présent », 2000, 352 p.
2 Laissons, par jeu, nos lecteurs deviner de quel poète il s'agit. La réponse se trouve p. 331 dans La Nouvelle Poésie française de Belgique.


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