Il y a 100 ans… la Lettre au Roi, de Jules Destrée

1914-1918 : l’instrumentalisation de la séparation administrative

coq2Et, de fait, la suite des événements, à commencer par le contexte de guerre, va bouleverser les positions acquises. Si l’Assemblée wallonne va bien mener une réflexion sur le contenu à donner à la séparation administrative, rien de concret n’en émergera avant le 4 août 1914. Son œuvre sera surtout symbolique : fixation de la Fête de Wallonie au dernier dimanche du mois de septembre pour commémorer les journées de 1830 réinterprétées dans un sens wallon et adoption comme drapeau wallon du coq hardi rouge sur fond jaune de Pierre Paulus (voir photo ci-contre), mais cravaté aux trois couleurs nationales. Durant la guerre 14-18, le concept de séparation administrative sera repris et utilisé par l’occupant, dans le cadre de sa Flamenpolitik et avec l’aide des flamingants les plus radicaux, désormais appelés activistes, parmi lesquels Hippoliet Meert, plus tard condamné à vingt ans de travaux forcés… Dès le printemps 1916, les Allemands flamandisent l’université de Gand, affublée par ses opposants du sobriquet d’université von Bissing, du nom du Gouverneur général en Belgique. À l’automne, ils scindent le Ministère des Sciences et des Arts. Puis, en 1917, ils matérialisent la séparation administrative en privilégiant la formule du fédéralisme à deux : la Flandre, avec pour capitale Bruxelles, fait face à la Wallonie, avec pour capitale Namur. Au Nord, les activistes vont plus loin que l’occupant et mettent sur pied le Raad van Vlaanderen ou Conseil des Flandres, une sorte de parlement croupion sans légitimité.

En Wallonie, la réalité de la collaboration est plus limitée : quelques dizaines d’hommes vont accepter de participer à l’aventure et de faire tourner les ministères wallons de Namur. D’autres vont s’employer à soutenir la politique allemande par la presse. Parmi ces collaborateurs wallons, certains, comme Franz Foulon ou Oscar Colson, fondateur de la revue Wallonia, sont des partisans de longue date de la séparation administrative, actifs dans le mouvement wallon d’avant-guerre. Mais la majorité des militants wallons refusent de voir leurs idées compromises par une coopération avec l’envahisseur. Jules Destrée, pour sa part, traverse la guerre en accomplissant plusieurs missions politiques ou diplomatiques à l’étranger : Londres, l’Italie, Saint-Pétersbourg puis le Japon. Absent physiquement de Belgique, il y est néanmoins présent par l’instrumentalisation malveillante que l’occupant y fait de sa Lettre au Roi, largement diffusée pour soutenir la Flamenpolitik.

La vague de patriotisme sinon de nationalisme belge qui suivra la libération, couplée à l’odeur de soufre accompagnant désormais l’idée de séparation administrative, anesthésiera un temps le débat autour d’une réforme de l’État. L’Assemblée wallonne reprendra certes ses travaux mais elle sera bientôt perçue comme trop attentiste ou modérée par le courant fédéraliste qui, dès 1923, rompra avec elle. Jules Destrée sera le maître d’œuvre de cette scission. En 1938, lorsqu’un premier projet wallon de réforme fédéraliste à trois parviendra devant le Parlement, sans toutefois être pris en considération, l’auteur de la Lettre au Roi ne sera plus là pour y apporter son soutien. Mais, l’esprit de 1912 continuera pourtant de flotter dans l’air wallon…

Catherine Lanneau
Mai 2012

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Catherine Lanneau  enseigne l'histoire de la Belgique et de ses relations internationales. Elle est aussi titulaire du cours d'histoire de la Wallonie contemporaine. Ses principales recherches portent sur l’histoire du 20e siècle. Elle a co-organisé le colloque « Deux journées pour un centenaire » en avril dernier.

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