L'alimentation et le sacré : identité religieuse et cohésion sociale

Famille repas

Les repas sont des moments importants dans la vie d'un groupe. On y ritualise les liens sociaux entre individus, tout comme les liens qu'ils entretiennent avec leurs divinités. Assister à un banquet d'une autre religion ou adopter des coutumes culinaires étrangères, c'est porter atteinte à la cohésion de sa propre communauté. Ainsi, les trois religions monothéistes ont développé un ensemble de règles alimentaires bien précises destinées à maintenir la cohésion du groupe  de ses adhérents et à le distinguer des autres. Bien sûr, ces règles ne suffisent pas à définir une cuisine communautaire. Bien d'autres critères doivent être pris en compte.

Chez les juifs

Dans la religion juive, comme dans toutes les autres, l'alimentation est l'un des principaux critères de distinction vis-à-vis de l'autre. L'observance du code culinaire renforce les liens qui unissent les juifs tout en maintenant le pacte scellé avec Dieu. Sa désobéissance reviendrait à rompre ce pacte et à se désolidariser de son groupe. D'où le soin particulier des pratiquants à observer les règles alimentaires énoncées dans la Tora.

Ces dernières reposent sur un principe fondamental : on ne contrarie pas la volonté divine. Dans la Genèse, Dieu crée les animaux en fonction de leur lieu d'habitat : la terre, l'eau et l'air. Chaque animal est ainsi pourvu de membres particuliers qui lui permettent de se mouvoir dans son milieu naturel : les pattes sur la terre, les nageoires dans l'eau et les ailes dans l'air. Tout animal ne répondant pas à ce premier critère est considéré comme impur, car hybride1. Il porte la marque du mal et ne peut donc être consommé.

Le régime alimentaire des animaux doit, lui aussi, répondre aux exigences divines. Les animaux terrestres sont herbivores, car Dieu leur a donné de l'herbe à manger. Les carnivores, qui ne font pas partie des plans de la création, sont impurs et portent la marque du mal, d'où leur interdiction. Afin de reconnaître facilement les herbivores, qu'ils soient domestiques ou sauvages, les juifs ont élaboré des critères qui ne laissent planer aucun doute sur leur nature. Les pattes de l'animal doivent se terminer par un sabot fendu, les carnivores possédant des griffes. Ce premier critère, néanmoins, est imparfait. En effet, il admet le cochon, qui a l'ongle fendu et qui est à la fois herbivore et carnivore, donc hybride et par conséquent impur. Il faut un critère supplémentaire : l'animal doit être ruminant, car tout ruminant est herbivore. C'est donc parce que le cochon ne rumine pas qu'il est prohibé, et non pour une quelconque raison hygiénique, que nos contemporains ont trop souvent l'habitude d'avancer.

 

Alimentation juive

Une fois la sélection opérée sur les espèces animales, il faut s'assurer que chaque bête, à titre individuel, soit parfaitement intègre physiquement. Toute marque portant atteinte à la volonté divine est proscrite. Un animal consommé doit être parfait. Il ne peut en aucun cas être mutilé, donc castré. Le même principe est applicable aux végétaux, qui ne peuvent subir de transformation par rapport à la création. Ainsi, le vin, qui a connu une fermentation, est interdit aux prêtres avant l'office.

Enfin, la manière de tuer l'animal avant de le manger a une importante primordiale. Il doit être sacrifié et le sang, renfermant l'âme, doit obligatoirement revenir à Dieu. La viande est donc vidée de son sang, sans quoi l'homme empièterait sur le domaine de Dieu2.

 
 

La simple connaissance des lois alimentaires hébraïques ne permet évidemment pas de comprendre toute la cuisine juive. Si cette dernière respecte les impératifs bibliques, elle a également effectué des emprunts aux différentes cultures qu'elle a elle-même influencées. En fin de compte, les juifs ont élaboré une cuisine originale, distincte en bien des points des cuisines qu'elle a côtoyé, comme l'a démontré Ariel Toaff, spécialiste de l'histoire des juifs en Italie. Grâce aux documents laissés par l'Inquisition désireuse de déterminer les caractéristiques de la cuisine juive afin de démasquer les judaïsants, Toaff a pu déceler les spécificités de cette cuisine par rapport à la cuisine autochtone. Les cuisiniers juifs se distinguaient, en Europe, par la préparation de desserts à base d'œufs cuits avec du miel et aromatisés. Les potages à base de viande hachée, de fèves, de pois chiches, de haricots et d'œufs durs, cuisinés la veille du sabbat pour être consommés le lendemain, sont également spécifiquement juifs. Ils portent le nom de hamin et varient en fonction des régions. Les premiers livres de cuisine juifs ne datant que de la première moitié du XXe siècle, nous ne possédons pas d'autres sources pour connaître les spécificités de leurs préparations3.



1Par exemple : un crustacé à pattes alors qu'il est de l'élément de l'eau, une autruche à ailes alors qu'elle court, un serpent sans pattes alors qu'il appartient à l'élément de la terre, etc.
2 Jean Soler, Les raisons de la Bible : règles alimentaires hébraïques, Histoire de l'alimentation, dir. Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari, Paris, Fayard, 1996, p. 73-84.
3 Ariel Toaff, « Manger à la juive » et « manger kascher », l'alimentation chez les juifs en Italie depuis la Renaissance, Histoire et identités alimentaires en Europe, dir. Martin Bruegel et Bruno Laurioux, Paris, Hachette, 2002.

 

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