Astronomie et religion

Le questionnement sur l'Univers n'est pas l'apanage d'une civilisation donnée. Partout dans le monde, on trouve donc des traces « astronomiques ». Toutes ne font pas état d'une science « pure et dure », et l'influence des croyances locales est évidente, ce qui ne les rend pas moins intéressantes.


Pour parler d'astronomie et de religion, il faut commencer par les dieux eux-mêmes. Les panthéons divins comprennent toujours des dieux associés aux objets célestes, et ce sont rarement des divinités de second ordre : Râ, Inti, ou Kukulkan sont de bons exemples de divinités dominatrices. Preuve supplémentaire : l'empereur chinois, « fils du Ciel », reçoit un mandat céleste ; l'empereur japonais et l'Inca sont « fils du Soleil » - le pouvoir des dirigeants terrestres émane donc de leur maître céleste. L'importance de ces dieux s'explique par plusieurs facteurs. Tout d'abord, ils sont sources de savoir, en particulier la définition de l'espace (point cardinaux) et du temps (jour, mois, année). Ensuite, ils possèdent des caractéristiques « extraordinaires » : leurs mouvements, infiniment répétés, leur confèrent un statut d'immortalité que l'humanité est bien loin de posséder ; leur éclat naturel contraste avec la difficile production de lumière par les hommes ; leur position élevée, au-dessus de la terre, semble indiquer la domination naturelle de ces objets.

lune

Une seconde approche mêlant astronomie et religion est l'analyse des mythes célestes - soit les faits et gestes de ces astres divins. Il ne s'agit pas de simples histoires, mais bien de réflexions sur l'Univers, à plusieurs niveaux de lecture. Les mythes célestes partent souvent d'observations simples (Soleil plus brillant que la Lune, Lune à la forme changeante, éclipses, alternance jour/nuit,...). Ces faits incontestables sont ensuite expliqués, fournissant au passage au lecteur les règles régissant l'Univers, auxquelles nous sommes bien évidemment tous soumis - l'« ordre cosmique ». Ainsi, en Inde, le dieu lunaire Soma, qui se sentait seul dans les longues nuits monotones, reçut en mariage les 28 filles de Daksha. Hélas, Soma tomba particulièrement amoureux de l'une d'entre elles, Rohini la rouge, qui correspond à l'étoile Aldébaran. Délaisser 27 épouses ne pouvait que provoquer l'ire de leur père, qui força Soma à maigrir ; celui-ci dut bien revoir sa position, mais Daksha lui rappelle ses devoirs chaque mois par une courte cure d'amaigrissement forcée. Les observations sont claires : phases lunaires (l'amaigrissement de Soma) et trajet de la Lune dans le ciel (28 épouses car la Lune parcourt le ciel étoilé en un peu plus de 27 jours) ; la morale aussi : si l'on possède plusieurs épouses, il faut les traiter de manière égale ! Chez les Inuits du Groenland, la faible luminosité de la Lune et les « taches » que l'on observe à sa surface sont liées à une sombre histoire d'inceste, assurant ainsi par un exemple spectaculaire l'apprentissage de cet interdit essentiel...

 

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Ensuite, il ne faut pas négliger la puissance des symboles. Ainsi, on ne compte plus les « temples » alignés selon des directions astronomiques (par exemple la direction des lever ou coucher de Soleil aux solstices ou aux équinoxes) que ce soit en Égypte, dans l'empire Maya ou Inca, en Polynésie, au Zimbabwe, ou encore en Chine. Ce genre de choses se fait depuis très longtemps, comme l'illustre le cas des mégalithes. Diverses campagnes de mesure de ces monuments néolithiques ont en effet permis de mettre en évidence des alignements privilégiés, solaires ou lunaires. Un bel exemple est l'ensemble mégalithique de Newgrange (Irlande). Datée de 3200 ans avant notre ère, cette construction abrite un long passage sinueux, dont l'entrée est bouchée et qui s'ouvre à son autre extrémité sur trois chambres funéraires. Lors du solstice d'hiver, le Soleil levant pénètre par une tabatière aménagée au-dessus de la porte d'entrée et éclaire la tombe principale. Cet alignement délibéré serait lié à un rituel funéraire : le solstice d'hiver marque en effet la fin de l'interminable déclin du Soleil, et le renouveau de la Nature - il entraînerait donc la renaissance spirituelle des défunts. Plusieurs autres exemples de symboles célesto-religieux peuvent être trouvés en Égypte : les vivants s'installent à l'est du Nil, dans la direction du puissant Soleil levant, alors que les morts sont enterrés côté ouest, dans la direction de la disparition de l'astre du jour aux forces déclinantes ; la momification dure 70 jours, durée d'invisibilité de l'étoile Sirius, astre dont le retour annonce la si importante crue du Nil ; une fois la momie prête, les prêtres lui touchent la bouche avec un adze, instrument ressemblant à une constellation bien connue, la Grande Ourse, qui tourne inlassablement dans le ciel du Nord et symbolise donc l'immortalité.


Enfin, il ne faut pas négliger le fait que les croyances anciennes ont guidé la Science de l'époque, menant parfois même aux prémisses d'une démarche scientifique moderne. Ainsi, les observatoires d'état développés dans l'Antiquité en Mésopotamie et en Chine avaient pour vocation première de prédire le destin de l'empire... ce qui n'a pas empêché les « égarements » scientifiques. Par exemple, les astronomes mésopotamiens ne se sont pas contentés d'observer le ciel, car ils ont aussi développé des modèles mathématiques étonnamment modernes des mouvements de la Lune et des planètes. Par leurs prédictions extrêmement précises, ces modèles ont finalement réduit en pièces l'astrologie d'état, alors basée sur les errements inattendus des astres !

Yaël Nazé
Août 2009

 

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Yaël Nazé est Chargée de recherches FNRS au département AGO de l'ULg.  Elle est également l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique.
 
 

 

http://www.astro.ulg.ac.be/~naze 
 
Pour en savoir plus sur les débuts de l'astronomie, mythiques mais aussi scientifiques, consultez L'astronomie des Anciens (éd. Belin, 2009)