Hubert Nyssen dans les méandres romanesques de la Sambre
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Un an après «Les déchirements», Hubert Nyssen publie un nouveau roman, «L'Helpe mineure» qui, par la récurrence de certains personnages, en apparaît comme une sorte d'écho. Sous l'écrivain se cache aussi un diariste, qui vient de publier «L'année des déchirements», son journal de l'année 2007.

 

Est-ce le remords ? Le goût du défi ? Ou, plus simplement, une façon de témoigner de sa liberté de romancier ? Hubert Nyssen qui, dans « Les déchirements », avait envoyé Julie, l'une de ses héroïnes, dans un camp d'extermination dont elle n'était pas revenue, ouvre sur elle son nouveau livre,  L'Helpe mineure. Et par une autre mort, bien réelle celle-ci, celle de son compagnon Victor, «le vieux», un cardiologue qu'elle avait rencontré avant-guerre par l'entremise de sa «meilleure amie» (qui ne l'est pas restée), Elisabeth. C'est ce Victor, apprend-on, qui, sous l'occupation, parce qu'elle croyait avoir été repérée lors l'une de ses missions clandestines, a caché son amante chez des amis dans l'Avesnois. Là où, à la Libération, elle a acheté une maison qu'elle a baptisée du nom de l'affluent de la Sambre qui coule non loin, l'Helpe mineure.

Un Victor à ne pas confondre, donc, avec l'autre Victor, disparu également, il y a longtemps, et de manière plus tragique, dans un accident de la route. Ce jeune Victor – ceux qui ont lu Les déchirements s'en souviennent, mais il en est fait également mention dans L'Helpe mineure – avait été amoureux de Julie sans oser lui avouer sa flamme. Son frère, Valentin, dans le précédent roman, s'était adressé à Colette, sa belle-sœur, pour en savoir plus.

Ici, nous sommes dans une situation inverse: c'est cette même Colette remariée à un éditeur qui raconte son quotidien et ses états d'âme à Valentin depuis Boston, où sa route a croisé celle d'Elisabeth. Revoici ainsi l'ex-amie de Julie dont les parents, joailliers bruxellois, ont fricoté avec les Allemands, ce qui ne l'a pas empêchée d'épouser un juif dont les parents ont été déportés. Cette lettre, ravivant des images issues du passé chez son destinataire, va le pousser à découvrir qui est cette Julie revenue d'entre les morts. Et à prendre dès lors le chemin de l'Avesnois et de l'Helpe mineure.

 

Jubilation de l'écrivain

Roman multi-face, plutôt que polyphonique car dépourvu de narrateur (contrairement par exemple à Pavanes et javas sur la tombe d'un professeur  où prenaient successivement la parole ceux qui avaient connu le défunt), ce nouveau roman du fondateur d'Actes Sud est une impeccable machinerie fictionnelle construite avec une évidente jubilation. Jubilation également dans l'écriture qui, tour à tour, passe de la troisième à la première personne sans jamais pour autant quitter l'intériorité des êtres. Une écriture qui, surtout chez les personnages féminins, traduit des pensées pas toujours animées des meilleures intentions.

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Ce roman est une pièce supplémentaire au sein d'une œuvre patiemment élaborée depuis plus de vingt-cinq ans. Les liens sont tantôt apparents, comme ceux qui relient les deux derniers romans, tantôt ténus, quasiment subliminaux. L'Helpe mineure n'est-il pas, par exemple, le titre d'un roman publié par un écrivain apparu en 2000 dans Quand tu seras à Proust, la guerre sera finie  ? 

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Et ce titre, d'ailleurs, renvoie à un épisode de la vie de son auteur, tel que ce dernier le révèle dans le texte qui ouvre le recueil Neuf causeries promenades – où figure le discours de réception d'Hubert Nyssen, Docteur honoris causa de l'Université de Liège reçu en mars 2003. Durant la guerre, Hubert Nyssen a dû (comme Julie Devos) se cacher «dans une mansarde amie» à Bruxelles. C'est là qu'un jeune surveillant de l'athénée dont il sortait lui apporta un cabas rempli de livres et, engageant le jeune garçon à profiter de son oisiveté forcée pour les lire dans l'ordre chronologique, lui lança: «Quand tu seras à Proust, la guerre sera finie.»

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En novembre 2004, profitant de l'attribution du Goncourt au Soleil de Scorta de Laurent Gaudé (le premier et seul à ce jour remporté par Actes Sud), l'auteur des trois tomes d'un journal entre 1988 et 1996, L'Éditeur et son double, s'est mis à se raconter au jour le jour sur son site. Ce sont des extraits de ces carnets qui sont publiés dans la collection L'écritoire. Après le journal de l'année 2006, paru sous le titre Le mistral est dans l'escalier, est sorti il y a quelques mois celui de l'année 2007, L'année des déchirements. Et il corrige actuellement les épreuves du volume de l'année 2008. Une manière de retrouver Hubert Nyssen dans l'intimité de ses pensées et convictions, de ses rencontres et déplacements, de ses enthousiasmes et découvertes.

 

Michel Paquot
Juillet 2009

 

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Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.

 


 

Hubert Nyssen, « L'Helpe mineure », Actes Sud/Un endroit où aller, 199 pages.

« L'année des déchirements », Actes Sud/L'écritoire, 208 pages.