Around Robert Wyatt

L'Orchestre National de Jazz de France, Rokia Traoré, Irène Jacob, Camille, Arno, Yael Naïm et Daniel Darc s'attaquent au répertoire d'un des musiciens les plus inclassables de la scène musicale contemporaine.

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Les hommages à Robert Wyatt n'ont pas manqué ces dernières années. Après les Soupsongs d'Annie Whitehead (dans lequel officiait un ancien membre de l'ONJ : le trompettiste Harry Beckett), l'ensemble Dondestan dirigé par Karen Mantler et John Greaves,1 le trio allemand Market Rasen, les projets de Jean-Michel Marchetti, Pascal Comelade et Jean-Philippe Ramos - sans compter les reprises ponctuelles d'Aldo Romano, Hugh Hopper, Ultramarine, Kammerflimmer Kollektief et autres Tears for Fears - c'est au tour de l'Orchestre National de Jazz de France de nous offrir une sélection de 15 titres arrangés par Vincent Artaud sous la direction de Daniel Yvinec.2 Outre les qualités inestimables de sa musique, une des raisons de ces multiples hommages au fondateur du Soft Machine est sans doute liée à son absence quasi-totale de la scène depuis mai 1975. A cette époque, il s'était produit à trois reprises aux côtés de Henry Cow, groupe fondateur de la Canterbury Scene.  Depuis lors, ses apparitions en public se sont limitées à deux brêves interventions aux côtés de son ami David Gilmour et à une prestation au sein du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden, programmé en juin 2009 dans le cadre du Meltdown Festival d'Ornette Coleman.

À l'écoute des premiers morceaux du disque, on est frappé d'emblée par la richesse et l'intelligence des arrangements de Vincent Artaud, moins connu du grand public pour son intérêt pour Wyatt, les musiques du Maghreb et l'électro-jazz que pour ses travaux d'arrangeur auprès d'Henri Salvador, Alain Bashung, Rodolphe Burger ou ... Dany Brillant. Virtuosité des harmonisations, pureté des timbres, singularité des formes, désarticulations rythmiques contrôlées, toutes ces qualités semblent réunies pour faire de ce coup d'essai un tour de force qui séduira les néophytes et permettra aux connaisseurs de découvrir les potentialités inédites de transformation et de recréation des originaux.

Certes, une écoute plus rapprochée révèle un certain académisme, un usage un peu trop ornemental des harmonies, un côté léché mais un peu froid, ainsi que quelques maniérismes minimalistes qui, à vrai dire, se marient bien à l'usage bien particulier de la répétition qui caractérise l'univers musical wyattien. Cela dit, il faut bien reconnaître que la musique de Wyatt - avec ses dissonances facétieuses, ses ruptures rythmiques et mélodiques, ses palimpsestes poly-vocaux instables et imprévisibles - ne se laisse pas domestiquer facilement. Il est par conséquent assez tentant - dans un contexte jazz - de la réduire à des thèmes suivis de grilles sur lesquelles s'illustrent les voix des interprètes et les solos des instrumentistes. Pour être tout à fait juste envers Artaud, cet exercice n'est pas dénué d'intérêt, loin de là, surtout quand des ensembles de la stature de l'ONJ d'Yvinec s'y livrent. D'autre part, on sait que les plus grands se sont heurtés aux mêmes obstacles : on songe, par exemple, aux adaptations de Jimi Hendrix par Gil Evans, dans lesquelles les grilles blues-rock originales deviennent, par la force des choses, des prisons où le grain de la voix et les idiosyncrasies mélodiques et rythmiques du guitariste se voient réduites au silence.

Bien que le résultat des efforts de l'ONJ soit une belle réussite dans l'ensemble, certaines compositions reprises sur Around Robert Wyatt subissent le même sort, et on ne peut s'empêcher de penser que cette démarche est aux antipodes de l'esprit et des méthodes viscéralement « DYI » qui président aux destinées de la musique de Wyatt, lequel me confiait récemment, non sans humour, qu'il travaillait « comme un animal », partant de quelques séquences d'accords exécutés au piano, gribouillant quelques partitions fragmentaires, composant et improvisant à partir de bouts de papier et de notes éparses.. C'est d'ailleurs en travaillant, ciselant et violentant la matière même du son comme un artisan, en direct et sans artifices, que Wyatt a réussi à produire une œuvre unique et radicale qui recèle des complexités qui excèdent (dans tous les sens du terme) les genres et formatages traditionnels.





1 Greaves est bien représenté sur ce disque puisqu'il en co-signe 3 morceaux écrits en collaboration avec Peter Blegvad.
2 Orchestre National de Jazz sous la direction de Daniel Yvinec. Around Robert Wyatt. Bee Jazz Records, 2009. Pour une discographie complète, voir : www.disco-robertwyatt.com

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