Robert Wyatt : Les voies d'une voix

Dans le parcours de Robert Wyatt se succèdent et se mêlent la liberté et l'engagement, l'exploration et la création, la souffrance et la sérénité.

Vocation, formation, exploration

Wyatt n'est le « produit » d'aucun « système ». Ses parents sont des intellectuels bohèmes et anticonformistes typiquement britanniques. Sa mère est journaliste, son père est psychologue. C'est certainement à eux que Robert doit son désir créateur et sa singularité, à la façon dont ils l'ont non pas éduqué, mais aidé à s'épanouir, sur des principes éducatifs empreints d'un grand « libéralisme ». À la fin des années 50, cet adolescent de Canterbury (il est né en 1945) écoute le jazz d'avant-garde (Charlie Mingus, Ornette Coleman, Cecil Taylor) et la musique contemporaine, bien plus que le rock-'n'-roll. On raconte qu'il impressionnait son entourage en étant capable de chanter, note pour note, un solo de Charlie Parker.

Durant ces années de formation, il s'ouvre et touche à tout : peinture, écriture, mais surtout la musique. Fin 1960, un jeune Australien loue une chambre chez les parents de Robert : Daevid Allen amène la poésie improvisée, l'esprit de la Beat Generation, d'autres formes de jazz. Celui qui fut à l'époque le héros de Robert aura une grande influence sur lui.

La maison des Ellidge (Wyatt est le nom de sa mère) est ouverte à tous, et les condisciples du collège de Canterbury y viennent faire de la musique : on improvise, on expérimente... Robert découvre sa vocation, les percussions, en tapant d'abord sur divers objets ; mais il prendra finalement des leçons de batterie auprès d'un professionnel (dont les leçons paient la chambre...) - et non dans une école. Il se met aussi au chant. Deux groupes se forment successivement : Le Daevid Allen Trio, qui en 1963 se produira quelques soirs à Londres dans un show assez improbable de jazz et de poésie improvisée ; puis en 1964 les Wilde Flowers, qui rassemblent des amis tels que Mike Ratledge, Kevin Ayers ou les frères Brian et Hugh Hopper. Le groupe joue des reprises pop et des compositions propres, sans grande influence de leurs goûts les plus originaux. Mais les uns et les autres composent...

L'invention collective

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En 1966, la pop anglaise approche de son apogée, avec pour courant montant le psychédélisme : quatre protagonistes forment le groupe Soft Machine, en apportant chacun sa touche : l'esprit beat de Daevid Allen, les mélodies et la voix de basse de Kevin Ayers, la rigueur du claviériste Mike Ratledge, le jeu de batterie et la voix de Robert Wyatt.

Soft Machine est un groupe à l'histoire chaotique : les changements de personnel sont multiples (les départs d'Allen puis d'Ayers, remplacé par Hopper, puis l'arrivée des instruments à vent) ; le rythme des concerts et des tournées, mais aussi les divergences croissantes, usent et tendent les relations internes ; les réorientations musicales amènent le groupe d'une pop psychédélique déjà mâtinée de jazz (le premier album : The Soft Machine, 1968) à une musique totalement neuve, qui fusionne rock et jazz, au même moment que Miles Davis, mais à partir du versant rock. Elle est notamment marquée par l'apport de plusieurs souffleurs, dont le saxophone Elton Dean, qui restera plus longtemps dans le groupe et contribuera beaucoup à son orientation. En très peu de temps (1969-1971), la musique de ce groupe expérimental passe de l'humour pataphysique du deuxième album (Volume Two, 1969) à un esprit beaucoup plus sérieux, un jazz plus austère dans lequel Robert Wyatt ne se sentira plus à l'aise (Fourth, 1971) : sa dernière composition pour le groupe est le long et superbe « Moon in June » sur le troisième album (Third, 1970), le chef-d'œuvre du groupe ; pendant l'année qui suit, l'évolution de Soft Machine ne laisse plus de place à la voix (et au style musical) de Wyatt, qui ressent l'orientation jazz que suivent Ratledge, Hopper et Dean comme un carcan trop étroit.

En 1971 il quitte le groupe puis en forme un autre, nommé par jeu de mots Matching Mole. C'est tout sauf le groupe d'un leader-chanteur. Chaque musicien est l'égal des autres. La musique est libre, collective, hors genres, tantôt improvisée et tantôt mélodique. (Deux albums : Matching Mole et Little Red Record, tous les deux en 1972.)

Puis vient l'accident : en juin 1973, une chute laisse Robert Wyatt paraplégique. Soutenu par la solidarité de ses amis musiciens, il sort du drame en entamant, à partir de 1974, une carrière solo exemplaire de 35 ans, où il s'affirme à la fois comme chanteur et comme compositeur.

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