Pensées et mouvements : les personnages d’animation selon Pixar

Disney le dansant, Pixar le pensant

On l’a dit : chez Disney, les personnages sont mus par un besoin de bouger, de danser, bref de vivre via le mouvement. « Chez Disney, le référent serait plutôt la danse, alors que chez Pixar il faut plutôt envisager le pantomime comme source d’inspiration, la question du jeu plutôt que du mouvement gracieux. Ce que dit Lasseter, c’est que pour lui pour qu’un objet, personnage, corps-figurine ait cette illusion de la vie, il faut qu’il ait des intentions. C’est pour ça que chez Pixar, les personnages sont systématiquement motivés : on les voit vouloir faire quelque chose, dans leurs yeux, dans leurs intentions, ils établissent une stratégie de mouvement pour y arriver. C’est d’ailleurs le sujet de beaucoup de films : Cars en est le plus illustre exemple, mais c’est aussi Buzz qui doit accepter de ne plus voler. » Si Disney voit ses personnages vivre par le mouvement, ceux de Pixar vivent pour le mouvement.

S’agit-il d’une rupture pour autant ? Pas exactement, du moins selon que l’on parle d’esthétique ou de narratologie. « Je parlerais de distanciation plutôt que de rupture entre Disney et Pixar, car ils partagent finalement plusieurs points communs. L’anthropomorphisation est partout : les voitures de Cars, c’est à mi-chemin entre Tex Avery et Disney qui proposaient déjà ce genre de voitures dans les années 50. La différence se fait peut-être au niveau de l’adhésion du spectateur : chez Disney, c’est un ensemble qui séduit, c’est l’univers au sein duquel évolue un personnage. Chez Pixar, il faut que l’adhésion se fasse immédiatement : dans Ratatouille, Rémy parle directement au spectateur, en lui racontant sa vie. Pixar joue beaucoup sur le sentimentalisme de l’appartenance : Cars sont ces voitures que les petits garçons adorent, Toy Story me semble assez clair à ce propos… Wall-E est un modèle en la matière : le film est construit sur l’empathie que l’on a pour le robot. L’histoire, on l’oublie avec le temps, mais le personnage reste. C’est pour ça que les personnages doivent être de véritables acteurs en terme de jeu : Luxo Jr, c’est une absence de dialogue mais une source d’émotions du fait qu’un père et son fils lampes de bureau jouent ensemble. Chez Disney, l’essentiel c’est l’aspect du conte qui importe, moins chez Pixar même si Lasseter utilise souvent le mélodrame, comme dans Toy Story 3. »

braveCette question de l’empathie pour les personnages est probablement la plus intéressante concernant Pixar. « Dans son livre Génie de Pixar, Hervé Aubron revient souvent avec cette même analyse selon laquelle il y a chez Pixar cette idée de la Machine supplantant l’Homme, tout simplement car les films sont faits par l’ordinateur. L’idée est intéressante mais Aubron enferme un peu l’univers de Pixar dans cette pensée, or je pense au contraire que c’est un univers très ouvert. Aubron parle aussi d’un refus de l’humain, mais il faut tenir compte aussi du fait que l’humain est difficile à faire en informatique ; d’ailleurs, dès que Pixar est parvenu à le faire, ils ont fait de l’humain, que ce soit sous le mode cartoon (Les Indestructibles) ou plus réaliste. » Au delà de la donnée technique, une autre approche est possible : Disney, depuis ses débuts en longs métrages, n’a eu de cesse de recourir à la figure humaine comme héroïne, et majoritairement la figure de la princesse et de son preux chevalier servant. Et quand ce n’était pas le cas, ce sont des animaux communément appréciés qui devenaient des héros (chiens, chats, souris, animaux de la forêt ou de contrées lointaines comme l’Inde et l’Afrique centrale). Or, de tous les personnages possibles, Pixar a su choisir des antihéros opposés à l’humanisme et à l’animalité bienveillante de Disney : jouets, insectes, monstres, rats et robots peuplent ainsi un univers de la marge, un univers où Pixar refuse les étiquettes ou décide d’en jouer. « Pixar revisite également les conceptions américaines du monde : la trilogie Toy Story qui mélange western et science-fiction par exemple, Ratatouille et sa vision gastronomique de Paris, etc. On est assez loin de l’idée de la Machine, finalement. »

 C’est peut-être là la clé du succès de Pixar, lequel a réussi à se réapproprier un public trop rôdé aux codes disneyiens en lui proposant à la fois des traits de personnages connus (Disney et Pixar restent fondamentalement liés au niveau des productions) mais aussi en les renouvelant et en sachant se démarquer du modèle qu’est encore actuellement le studio Disney. Et ce n’est pas sans une certaine impatience que Rebelle, leur prochaine production, est attendue : la bande-annonce et les quelques images diffusées laissent apercevoir une ambiance moyenâgeuse,  une princesse en guise d’héroïne et une importance flagrante accordée à l’humain dans le récit, autant d’ingrédients habituellement utilisés par Disney que Pixar avait évités jusqu’ici. Le studio de Lasseter a-t-il su éviter les pièges de son aîné et garder sa personnalité au sein du célèbre studio Disney ? Réponse cet été.

Bastien Martin
Juillet 2012
   

 

crayongris2Bastien Martin est journaliste indépendant. Il mène des recherches doctorales en cinéma.

 

 


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Dick Tomasovic enseigne au Département des Arts et Sciences de la communication -  Théories et pratiques du spectacle (vivant ou enregistré).


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