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Photographier l'art performance. Quelques réflexions

10 May 2012
Photographier l'art performance. Quelques réflexions

Tatsumi Orimoto-Pietro PelliniLa relation entre l’art performance et la photographie est assez complexe et nécessite une bonne connaissance importante des deux domaines, en raison de leurs natures différentes et des fortes interactions qui existent. Ce qui m’a fasciné en tant que photographe dès le départ est le fait que l’art performance est quelque chose d’éphémère. Je me suis posé les questions suivantes :   Comment photographier de sorte que l’image soit un médium de l’action avec la tension qui s’y trouve ?  Comment rendre celle-ci visible à d’autres personnes qui étaient absentes lors de la performance ? 

Tatsumi Orimoto,
Breadmen on the Street, 1991

 

L’expérience avant et après l’image

L’art performance peut être considéré comme l’acte de production d’une image unique dans un certain espace. C’est un travail artistique éphémère, qui existe seulement dans un court laps de temps. Il n’y a, la plupart du temps, aucune possibilité de revoir une action. Même si le performeur la reproduit dans un autre lieu, elle sera différente de ce qu’elle était auparavant.

Zbigniew Warpechovski-PietroPelliniLa photographie donne la possibilité de conserver des informations à propos de ce moment, et les traces qu’elle crée sont synonymes de lien permettant de toucher plus de personnes. Comparé à la vidéo, qui contient des images en mouvement et du son, la photographie est une image fixe témoignant d'un instant précis de l’action.

On a généralement une série d’images isolées. Et même si vous les disposez en une suite, ce sera tout de même très différent d’une vidéo, car la perception est différente. On peut se concentrer davantage sur une photographie. On a, pour la regarder, autant de temps qu’on le souhaite. Si on visionne une série de photographies, on peut revenir en arrière, avancer, et être plus ou moins touché par certaines d'entre elles.

Le photographe recherche ces images spécifiques avec cette intensité et cette tension, qui renvoient à ce qu'il a  vécu lui-même. C'est très intéressant de montrer ses clichés, après, à deux types de personnes : le performeur lui-même, qui a accompli l’action mais n’a évidemment pas pu la voir du point de vue du public ni de celui du photographe, et les personnes qui ont vu ou non la performance.

Zbigniew Warpechovski - Black Market, 1997

Je montre généralement les photos aux artistes en premier. Ils se font bien sûr une idée de ce à quoi leur performance pourrait ressembler, mais là, ils sont confrontés à une image créée d’un autre point de vue, placé de l’autre côté. Peuvent-ils découvrir dans ces photos leurs propres sentiments, tensions, et l’atmosphère qu’ils ont expérimentée ? Peuvent-ils accepter ces photographies en tant qu’images représentatives de leur travail ? Les performeurs sont très critiques sur ce point, et leur feedback est très important pour moi.

Par ailleurs, certaines personnes n'ont connaissance de la performance qu'à travers la photographie et des textes informatifs. Quelles sensations, quelle expérience leur procure l’image ?  Ce type de situation représente un réel défi pour la photo : elle devrait avoir une qualité telle que le spectateur soit intéressé et l’explore, réfléchisse à propos de ce qu’il observe.

Al Hansen-PietroPelliniLarry Miller-PietroPellini SeijiShimoda-PietroPellini
De G à D : Al Hansen, Soldier Perfomance: Celebration Krieg, 1995 - Larry Miller,  Comb Music, 1997 - Seiji Shimoda - Ma, Performance, 1995

 

Documentation - transformation

Siglinde Kallnbach-PietroPelliniFréquemment on parle de la photo-documentation de performances. Documentation signifie à l’origine preuve. Cela implique l’objectivité, la neutralité, qui peut montrer ce qui a vraiment eu lieu. Je me méfie de ce terme, sachant, en tant que photographe, à quel point mon travail est subjectif. La photographie est un processus complexe mêlant différentes caractéristiques qui ensemble font partie de la création d’une image. Le photographe doit faire des choix techniques et personnels sur ce qu’il souhaite photographier et comment. Tout cela mène à une approche toute personnelle du sujet. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de documentation, mais aussi de transformation, peu importe qu’il en résulte une impression de distance ou d’implication.

La transformation peut avoir pour qualité de rendre l’image plus intense et expressive, peut être concentrée davantage sur l’expérience vécue. Y a t-il finalement quelque chose qui puisse être considéré comme représentatif de l’action dans la photographie (en tant que média) ?

De ce que j’ai pu expérimenter, l’art performance crée une sorte de champ énergétique. Le public se trouve dans ce champ, le partage. Il existe une corrélation. En tant que photographe, on est attrapé par ce champ et ces courants d’énergie. On vit cela avec concentration, attention et intuition pour obtenir les meilleurs résultats. Ce n’est pas toujours possible, mais cela fait partie de mon approche personnelle de la photographie.

Siglinde Kallnbach,Taubenrot, 1997

 

Approche de la photographie

Il existe des difficultés spécifiques à la photographie de l’art performance. La plus importante et qu’un performeur dit rarement ce qu’il prévoit de faire. Et même s’il le fait, il est susceptible de changer ses prévisions en fonction de la situation ou du lieu. Il est difficile de prévoir ce que serait la meilleure photo à en faire. Il faut suivre l’action et réagir très vite, prendre des décisions sur le vif. Si on commence à réfléchir, ce moment s’est déjà envolé.

Je ne pense pas qu'il faille être photographe professionnel et équipé comme tel. Il est nécessaire parfaitement connaître le maniement de votre équipement, qu’il s’agisse d’un simple appareil bas de gamme ou d’un appareil professionnel de haute qualité. L'équipement professionnel n’est pas une garantie d’obtenir de meilleurs résultats. La bonne connexion que vous avez avec l’appareil est plus importante que le type d’équipement que vous avez. En effet, vous pourrez suivre l’action avec une concentration et une attention de grande qualité grâce à cette connexion.

JulienBlaine-PietroPellini HighHeelSisters-PietroPellini
Julien Blaine with Joan Casellas and Joan Ramirez, Declaraction, 2008 - HighHeelSisters, Hight Art Fraktione, 2004

 

Performance avec public ou performance photo

Lisa Cieslik- PietroPelliniLa situation du photographe se présente différemment s'il s'agit d'une performance réalisée en public et d’une performance photo. Quand le public et présent, l'artiste se concentre sur ce qu'il est en train de créer sur le moment. En revanche, s’il n’y a pas de public mais seulement un photographe, alors l’artiste agit en fonction du résultat qu'il souhaite, c'est-à-dire la photo. Chacune de ces deux situations a sa propre fonction, ses propres avantages.

La performance photo donne plus de liberté au photographe. Il peut se concentrer pleinement sur l’artiste sans avoir à s’inquiéter de déranger le public. Même le flash n’est pas un problème, si l’artiste l’accepte. Avec un public, il faut gérer une situation donnée et travailler en fonction de celle-ci. Sans public, la performance commence différemment. L’artiste me dit ce qu’il prévoit de faire et quelles parties sont plus importantes pour lui.  Me fondant sur mes connaissances et mon expérience, je fais des propositions et nous discutons des méthodes et des réglages (du cadrage). Ensuite, je peux me préparer et préparer mon équipement au mieux en fonction de ce qui est souhaité. Cependant, la notion de performance en tant qu’événement unique reste la même. L’artiste effectue sa performance comme il le ferait en présence d'un public. Nous n’avons jamais répété une performance photo.

 Lisa Cieslik, Consumption Realism, 1991

Pietro Pellini
Février 2012

CarmeVinas-PietroPellini

Carme Vinas, Diparo vengativo incorrecto, 2010



 


 

Ce texte est une traduction de la conférence de Pietro Pellini lors du week-end ACTUS.
Toutes photos © Pietro Pellini
Site web de Pietro Pellini :  art.pietropellini.com


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