Les Wallons du Wisconsin, USA

Être Wallon au cœur des États-Unis d’Amérique ?

L’idée même d’ « identité wallonne » a fait l’objet chez nous de nombreux débats politiques et idéologiques dont je ne souhaite pas analyser ici la pertinence car le but de l’ouvrage n’est pas de revendiquer une « wallonitude » qui servirait, en Wallonie, à justifier des différenciations culturelles d’avec les Flamands, les Bruxellois ou toute autre communauté, mais bien d’examiner comment les descendants d’immigrés wallons du milieu du 19e siècle se positionnent aujourd’hui dans le vaste chaudron culturel − le « melting pot » − américain. 

Dans un premier temps, les immigrés du Wisconsin éprouvèrent le besoin de communiquer avec les parents et amis restés au pays natal. Illettrés, ils durent faire appel à des écrivains publics qui, sous la dictée, francisèrent leur parler wallon. Peu à peu cependant, au fur et à mesure que disparaissaient leurs proches dans le « vieux pays », les néo-Américains, qui continuaient à se proclamer « Belges4 », ne cherchèrent même plus les contacts épistolaires. Ceux-ci cessèrent et, mises à part quelques traversées isolées de l’Atlantique, dans un sens comme dans l’autre, les relations entre les deux communautés s’estompèrent, de sorte qu’en Belgique, durant la première moitié du 20e siècle, leur souvenir avait quasi disparu, y compris dans leurs villages d’origine, et seuls quelques historiens mentionnaient encore l’existence de ces pionniers.

Les premières vraies prises de conscience de l’existence de « cousins » au Wisconsin y datent des années 1944-1945, époque où, participant à la libération de la Belgique, quelques GI’s originaires de la région de Green Bay eurent l’occasion de parler wallon avec la population locale. Comme le wallon ne connaissait aucune transcription écrite au Wisconsin et comme le courrier rédigé en anglais ne trouvait guère de lecteurs dans les campagnes wallonnes, il fallut attendre la fin des années 1960 et l’expansion de l’enregistreur à cassettes pour que les familles communiquent à nouveau et rompent l’isolement de la communauté des bords du Lac Michigan.

Au cours des années 1960 précisément, on a assisté aux États-Unis à un mouvement d’affirmation d’identité ethnique dans la plupart des groupes d’immigrants américains originaires d’Europe. Ce mouvement faisait suite à des revendications plus fondamentales de droits civiques, portées par les minorités raciales, noires en particulier, et précédait de peu la montée des régionalismes culturels et linguistiques que l’on observa peu après en Europe (flamand en Belgique, catalan en Espagne, occitan ou corse en France, etc.). Ces diverses poussées sociales ruinent l’idée, émise par certains sociologues, d’une liaison forte entre ethnicité et sociétés traditionnelles, idée qui voudrait que le sentiment d’appartenance ethnique disparaisse au fur et à mesure que ces sociétés s’industrialisent et se modernisent.

L'ancienne école de Namur, Wisconsin, actuel local du PBAC

Local du PBACChez les Wallons du Wisconsin, on constate que la modernisation des modes de vie et l’ouverture économique au monde favorisent au contraire l’émergence d’une prise de conscience culturelle inconnue jusque là. Parce qu’ils participent en quelque sorte à une uniformisation culturelle, concrétisée notamment par l’arrivée de la télévision et par le regroupement scolaire, ils souhaitent affirmer leur particularité. Dans un premier temps, ils revendiquent leur « belgitude » – ils ignorent, je l’ai dit, le différend wallo-flamand qui déchire la Belgique – sur base d’une recherche d’ « héritage culturel » transmis de génération en génération, sans recours à des référents externes. Ils créent une bière « Vive les Belges ! » et des « Belgian Days » dès 1961, aménagent un local pour un « Belgian Club » en 1964, dans l’ancienne petite école de Namur qu’ils repeignent en jaune, « couleur nationale belge », deux ans plus tard, avec l’espoir d’en faire un « musée de l’histoire et de  la culture belges5 ».

Le désir de renouer avec la « mère patrie » fut partiellement satisfait en 1972 avec l’organisation de deux voyages en Belgique qui drainèrent près de 300 participants. À leur grande stupéfaction, ils découvrirent alors qu’on parlait français dans leurs villages d’origine, où l’Église n’était plus toute puissante, et que les agriculteurs y étaient désormais rares. Les traditions qu’eux-mêmes véhiculaient, héritées en ligne directe du 19e siècle, étaient donc, à l’est de l’Atlantique, considérées comme obsolètes ou singulières...

Aujourd’hui plus qu’hier, la disparition des anciennes générations qui portaient ces traditions incite une majorité de descendants de familles wallonnes à retrouver et à préserver leur patrimoine, matériel ou immatériel. Les recherches généalogiques se multiplient, des publications et présentations muséales voient le jour, les anciennes photos sont scannées et le Peninsula Belgian American Club recrute des jeunes, certes anglophones mais avides d’en savoir plus sur les générations passées et de visiter « lipayis »  à la recherche d’éventuels « cousins » : « I wish more young people would join the Belgian club. If more people knew about it, it would make a difference6 ».

 

 

Françoise Lempereur
Juin 2012

crayon
Françoise Lempereur a soutenu une thèse de doctorat sur la transmission du patrimoine immatériel, matière qu'elle enseigne aux étudiants de master en Histoire de l'art et en Communication de l'ULg.
Il est possible de se procurer l'ouvrage Les Wallons du Wisconsin via le syndicat d'initiative de Jambes : plus d'informations







 

 

4 Avant les échanges des années 1972-73, aucun Wallon du Wisconsin ne connaissait l’existence du différend belge entre Wallons et Flamands. Ils ignoraient jusqu’à l’existence du mot « wallon », persuadés de parler « le belge » ou de confectionner des « tartes belges ».

5 Voir le site du Peninsula Belgian American Club : www.belgianamerican.org

6 Déclaration de la secrétaire de ce club, Kim Potier Davis, 42 ans, à l’occasion de son entrée en fonction en 2002.

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