Izoard : un magicien en terre liégeoise

On connaît les liens d'amitié qui liaient le poète Jacques Izoard et l'écrivain Eugène Savitzkaya, depuis cette année 1972 où l'aîné, membre du jury du concours « Liège des Jeunes Poètes », éprouva un véritable choc en découvrant les textes du second, tout jeune poète. Cette amitié littéraire fut longue et intense (Izoard a toujours soutenu Savitzkaya, qui a longtemps logé dans la maison d'Izoard; ils ont écrit plusieurs textes à quatre mains), mais n'a heureusement pas empêché le plus jeune de prendre son indépendance littéraire, tant comme poète que comme romancier, tôt publié aux éditions de Minuit. Eugène Savitzkaya est l'homme de la mémoire Izoard, celui qui sait qui était le poète. Nous sommes heureux de publier ici deux textes hommages de sa main, dont le premier fut lu lors du colloque que l'université de Liège avait consacré à Izoard le 17 mai 2006.

© Marc Brasseur

Izoard-Marc Brasseur

 

La naissance de Jacques Izoard coïncide avec le passage de la comète invisible, date capitale pour l’Espagne et pour le reste de l’Europe. 1936 est dans le titre d’un livre de Cela. Un magicien était né en terre liégeoise, projectile fluide et ferme catapulté par un dieu savoureux encore sous l’effet euphorique d’une longue sieste. Même la guerre il l’a passée en charrette tirant et poussant déjà des élèves, leurs plumes reposant au reliquaire de bois. Les élèves à travers les poèmes de l’air, des pierres vives de l’eau Dive où couve le feu. Prince en sa maison parmi sa grande famille : ce que sa plume cisèle sa voix l’enroue et l’avine, léchant les Luis, les Robert, les Christian, les Léon, Marc et François, œuvrant à la table autant qu’à la terre, polissant la clenche du trésor domestique tout en poussière d’argent, d’or et de diamant, ces dernières noces seront bientôt célébrées en grandes pompes à eau et citerne avec des élèves de pluie dansant sur les cerisiers et un soleil andalou dans le cœur de la porte battant monnaie fabuleuse à l’effigie du héron méticuleux exceptionnel sprinter sur le sable et sur l’herbe, essoufflé parmi les fatras et les squames mais faisant gicler le sperme à la tête des spadassins et s’en lustrant les ongles. Marié à Maria, fiancé à la bière, promis au vin, toujours en célibat, exigeant dix année sabbatiques pour service hautement rendu, craie en main gauche et droite, tout blâme retiré illico par l’échevinat de l’instruction aléatoire. La comète était une bille, la bille de l’encrier portatif du Sieur Kraus roulant dans la rondeur d’un sabot et fondant dans la tiédeur d’une pantoufle.

 

Signé : un élève reconnaissant qui fera mieux la prochaine fois
(mai 2006)

 

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DR

izoard

À Jacques

À la mémoire en fabada d’oubli

Derrière ses lunettes à monture d’acier, l’homme était dur et noir, d’une sévérité dans pareille. Il semblait transporter des œufs de jais glacé dans les innombrables poches de son costume en velours côtelé choisi avec Maria. Il me parut indestructible et il s’avéra l’être plus que je ne l’avais supposé. Gros sans graisse, rapide au sprint. Acéré, très sévère comme certains chiens entrevus dans une cour derrière une barrière en métal rouillé. Son nom me fit penser à Zanzibar, Madrid et Montevideo, aux roues engrenées et aux talismans africains. Mes cheveux s’étalaient sur mes épaules, les siens rentraient durs dans l’encolure de sa chemise blanche, bleue ou à larges carreaux. Théâtre du Trocadéro, en la « cité féroce ». (Liège, le 20 avril 2004)

 

 

Eugène Savitzkaya