Scaphandre : Plongée artistique dans des laboratoires de recherche

 À l’invitation du vice-Recteur Éric Haubruge, l’artiste Didier Mahieu a eu l’opportunité de s’installer pendant un an et demi au sein de Gembloux Agro-bio Tech, à l’occasion de son 150e anniversaire. Il ne s’agissait pas seulement d’investir un lieu, mais d’interroger les relations possibles entre art et science et de développer son propre langage autour d’enjeux  de société correspondant à des objets de la recherche : l’avenir de l’homme, l’alimentation, la biodiversité, la désertification, les changements climatiques, l’extinction des espèces…

gisantArtistes et  chercheurs sont de plus en plus amenés à dialoguer.  Au-delà des différences, il est intéressant d’examiner l’objet commun vers lequel se dirigent les compétences scientifiques et artistiques. De nombreuses collaborations  aussi se mettent en place, comme dans notre Université, la philosophe Vinciane Despret avec la metteure en scène Dominique Roodthooft, l’astrophysicienne Yaël Nazé avec l’artiste plasticien Jacques Charlier, l’historien Philippe Raxhon, le vétérinaire Pierre Lekeux  et le médecin Alain Carlier avec le réalisateur Jacques Donjean…

Sans titre-1Cependant, les résidences d’artistes dans des universités restent relativement rares. Depuis quelques années, différents projets ont vu le jour. L’Université de Tours a ainsi accueilli un auteur de bandes dessinées puis un comédien-metteur en scène. Des artistes de théâtre ont été invités à l’université d’Aix-en-Provence ou à Montpellier.  L’Université de Nantes a invité un collectif de jeunes plasticiens. Chaque année, cinq courtes résidences d’artistes (musiciens, danseurs, chorégraphes, comédiens, plasticiens…) sont organisées à l’université de Dijon. Paris-Nanterre accueille depuis 3 ans dans ce qu’ils appellent des « résidences-ateliers » de chorégraphes, photographes, acteurs…

La résidence d’artiste de Didier Mahieu  est cependant inédite par sa durée – 18 mois –  mais aussi par les interactions avec les chercheurs pendant tout le temps de la création et même encore après le départ de l’artiste, comme en témoigne l’ouvrage Scaphandre. La science rencontre l’art qui vient de paraître aux Presses Universitaires de Liège, inaugurant la collection « Patrimoine ».  Dix-sept chercheurs ont en effet été invités à livrer leur ressenti subjectif devant les œuvres exposées, mais aussi à partager des réflexions très objectives, inspirées de leurs travaux,  sur l’avenir de l’humanité.Cet ouvrage est illustré de splendides photos de Jean-Louis Wertz et de... Bernard Rentier, Recteur de l'ULg !

 

Un scaphandre et des ailes

À l'exposition résultant de son immersion dans le milieu scientifique, Didier Mahieu a donné le nom de « Scaphandre ». Dans l’ancienne crypte  git « la dépouille d’un être métamorphosé par des techniques transhumanistes », selon les termes de Jean Semal, plongée dans les profondeurs sous-marines, avec un lien vers la partie terrestre. Daniel Portetelle y voit la représentation du passage des formes vivantes de l’océan vers des formes terrestres. Mais le scaphandre est seul, fait remarquer Vinciane Despret. Cette solitude est-elle le sort qui nous attend ?

scaphandre
Dans cet équipement qui permet à l’homme d’explorer, avec une pointe d’anxiété, des milieux hostiles, Alain Vandersplasschen  voit aussi une évocation des équipements de sécurité indispensables dans les laboratoires qui traitent de virus extrêmement dangereux.   

Toutefois, le scaphandre est vide, abandonné par l’explorateur, qui a peut-être constaté que l’environnement n’était  pas si hostile et a pu s’y adapter, comme le suggèrent Frédéric Boulvain et Joseph Martial, à moins que ce ne soit en raison de l’apparition de techniques de protection plus sophistiquées que cette combinaison du passé, propose Jean-Pierre Thomé.

Ou peut-être l’explorateur n’a-t-il pas survécu à son expédition ? Cette hypothèse de la mort est amenée notamment par Julie Bawin, qui rappelle que la crypte d’un cloître est généralement un lieu de sépulture. L'homme court assurément de graves risques, puisque selon Guy Mergeai, actuellement, c’est lui-même qui rend son milieu hostile.

ailesPlus loin, une autre œuvre de Mahieu attire l'attention des chercheurs, Les ailes d’Icare, dans laquelle ils retrouvent symbolisées certaines de leurs réflexions sur l’exploration, le progrès et ses limites. Le  mythe d’Icare, entre humain et non-humain, est fortement chargé de symboles, comme l’explique Patrick du Jardin : La difficulté est de trouver la bonne mesure, le bon rythme, la bonne distance. L’erreur est sanctionnée par la chute. Porter l’homme sans le brûler est l’un des grands défis posés aujourd’hui aux techniques de pointe.

Si l’aspiration à la liberté créatrice dans l’accomplissement de l’activité scientifique est justifiée et importante,  Éric Haubruge et Jean Semal estiment que  l’exercice de cette liberté postule celui de la responsabilité, de l’intégrité et de l’éthique. Pour accomplir un destin intelligent, il ne s’agit pas de suréquiper certains individus par des prothèses, mais bien de soutenir l’ensemble des humains dans la construction de leur destin individuel et collectif.

 


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