La constellation Izoard

izoard-LaDifférenceMaria Beuken a côtoyé et assisté son ami Jacques Izoard durant de nombreuses années. Elle évoque avec émotion, mais aussi avec toute l'acuité de sa mémoire, le souvenir de l'homme et du poète, ses compagnons de route, son incessante activité au service de la poésie, les lieux où celle-ci s'est exercée.

 

« La poésie c’est ce que les choses ordinaires ont d’extraordinaire. »
Georges Linze

Jacques Delmotte, dit Jacques Izoard, est né le 29 mai 1936 à Liège et décédé le 19 juillet 2008. Poète et animateur de la poésie en Wallonie et à Liège, il est l’auteur d’une œuvre, prolifique, qui comporte une soixantaine de recueils de poésie, ainsi qu'un essai sur Andrée Chedid, et couronnée par le Prix Mallarmé en 1979. En 2001, Izoard reçoit le prix Triennal de Poésie décerné par la Communauté française de Belgique et, en France, le Prix Alain Bosquet.

Dans les coulisses de chaque personnalité publique, qu’elle soit artistique ou politique se tiennent des personnes de l’ombre, des facilitateurs sans le secours de qui l’œuvre serait peut-être autre. À l’occasion de la parution du troisième tome des Œuvres complètes de Jacques Izoard, nous avons voulu rencontrer Maria Beuken. Amie et secrétaire de Jacques Izoard pendant près d'un demi-siècle, l’actuelle occupante du numéro 50 de la rue Chevaufosse, la maison qu'occupait le poète, siège de la nouvelle Fondation, nous a accueillis chaleureusement.

Son amitié pour le poète liégeois est une intarissable source d’anecdotes et d’émotions. Dans la bibliothèque encombrée de portraits, de livres et d’une correspondance en cours de classement, elle a ouvert pour nous son cœur et ses archives.

Elle se souvient d’avoir rencontré Jacques Izoard à l'automne 1965, par l'intermédiaire d'un ami espagnol. Maria Beuken habitait alors Verviers et travaillait comme comptable dans une société où elle s'occupait aussi du service social. Sa disponibilité était grande. Une amitié suivie entre Maria et Jacques débute…

25Issue d’une famille de musiciens, Maria Beuken a vécu comme une évasion cette rencontre avec un homme dont le charisme, la culture et la générosité l’ont rapidement éblouie. Sans même connaître sa poésie, sa sympathie pour l’homme a été immédiate et cette rencontre un véritable choc. Izoard travaillait à l’époque à l’élaboration de son troisième recueil. Très vite, elle se proposa de l’aider au secrétariat et de dactylographier les poèmes avant leur présentation à l’éditeur. Elle se souvient que Jacques demandait son avis sur certains poèmes en première lecture… pour ne pas en tenir compte ensuite, sourit-elle.  Plus tard, elle se chargera aussi de la comptabilité et du secrétariat de  l’Essai, puis d’Odradek, dont 30 numéros paraissent entre 1972 et 1980. Jacques Izoard soutint dans la foulée la naissance de La Revue 25 (ou M25) créée par Robert Varlez en 1977, où il sera rejoint par Françoise Favretto en 1979. Depuis, Maria a pris part régulièrement à la majeure partie des activités du poète liégeois. Lors des nombreuses rencontres littéraires qu'il organisait, elle se rappelle même avoir eu pour mission de compter les participants !

Jacques Izoard s’installe en 1969 rue Chevaufosse, dans la maison qu’il n’a plus quittée, et dont il fit avec Maria Beuken, en 1982, l’acquisition – en rente viagère. Dès le départ, Maria Beuken, avec attention et discrétion, tempéra, conseilla et accompagna le tumultueux poète. Si, au début, elle souffrit un peu de rester dans l’ombre, en fin de compte, confie-t-elle, sa timidité s’accommodait assez bien de cette situation.

cirquedivers1988Elle se souvient que Jacques illuminait sa vie de poésie, d’amitiés, de rencontres et aussi de son amour de Liège. Elle souligne l’importance qu’il accordait aux détails, à l’infiniment petit, dans son œuvre, de l’inspiration qu’il retirait de son jardin, de ses saisons et de l’observation, lors de ses voyages,  du moindre cours d’eau ou d’une façade. S’il aimait les rencontres, le dépaysement, la vie en ville, cela ne l’empêchait pas de faire avec minutie le tour de son jardin tous les matins.

Elle se souvient qu’outre sa correspondance – dont nous gardons la trace –, Jacques Izoard aimait avoir d’interminables conversations téléphoniques, pour échanger avec ses contacts poétiques, les inciter à assister à l’un ou l’autre rendez-vous poétique, leur lire ses derniers poèmes ou prendre simplement de leurs nouvelles. Car Jacques Izoard était un homme de communication, le contraire du poète dans sa tour d'ivoire. C'était un passeur, un animateur, d’un prosélytisme infatigable.

Jacques Izoard au Cirque Divers en 1988. DR

C'était un homme juste et sensible, se souvient Maria. Il aimait être entouré et sa générosité envers tous se transformait souvent en prodigalité. Elle évoque son humour pince sans rire, ses anecdotes, ses coups de gueule et ses provocations envers les policiers (qui lui vaudront quelques courts séjours sous les verrous).

Jacques Izoard était très attentif à la poésie des autres, pas seulement de ses amis. À ceux qui écrivaient, mais aussi à tous les jeunes créateurs, il insufflait l'envie, l'assurance pour créer davantage encore et se dépasser. Il avait cette qualité de toujours encourager, de ne pointer que le meilleur chez un artiste ! Il avait encouragé les débuts de Joseph Orban, d’Antonio Moyano et d’Eugène Savitzkaya, pour ne citer que quelques écrivains et encouragé le talent de Robert Varlez puis de Selçuk Mutlu, parmi les nombreux plasticiens qu’il admirait.

Très attaché à sa ville, à ses lieux, à son fleuve et à ses escaliers, Jacques Izoard était un piéton de Liège. Il aimait les petites gens, les déclassés, les laissés pour compte.

colloque Izoard2006, l’année de ses 70 ans, aura été celle de sa consécration. L'Université de Liège lui a consacré un colloque. À Paris, les éditions de la Différence ont publié les deux premiers tomes de ces œuvres, éditées par Gérald Purnelle.

Izoard, lors du colloque qui lui était consacré
ULg, mai 2006

Maria se souvient encore que Jacques écrivait tous les soirs un ou deux poèmes, sans exception, dans son bureau ou sur la table de la cuisine, mais ne se souvient pas de l’avoir jamais vu écrire ! Par contre, elle nous raconte comment Jacques Izoard prenait note des mots d’enfant qu’il entendait. De sa curiosité et son écoute pour la parole des enfants et des jeunes, Izoard a fait en quelque sorte profession… Titulaire d'un régendat littéraire, Jacques Delmotte enseigna le français dans l'enseignement secondaire technique et professionnel durant de longues années. C’est en 2000, qu’il quitte l’enseignement. Il ne manquait jamais de parler de poésie et « servait » à ses élèves le poème du jour comme d'autres la soupe ou la prière... Ces mêmes élèves se souviennent avec enthousiasme des promenades dans Liège qu’il lui arrivait de proposer.

 

 

 


 

Photo escaliers : ©La Différence

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