La constellation Izoard

Izoard et Varlez (95)À Liège, nombreux sont les lieux de poésie qui doivent leur naissance au dynamisme de Jacques Izoard. Ils sont mobiles et mouvants. Il arrive qu’ils existent de manière intense et éphémère et disparaissent sans crier gare quand ils commencent à peine à se faire connaître. Les Éditions de l’Atelier de l’Agneau, sous la houlette de Robert Varlez d’abord, de Françoise Favretto ensuite, faisaient paraître de nombreux textes de poètes liégeois.

essaiEn 40 ans, de nombreuses revues de poésie apparurent et disparurent au bout de quelques numéros. Jacques Izoard citait volontiers La flûte enchantée (Alexis Curvers), Dialogue (Francis Édeline), L’Essai (Roger Gadeyne), Lettres 55 Asphalte, ou encore Les yeux brouillés (Roland Counard).

Jacques Izoard participa aussi à la création des Biennales Internationales de Liège, qui prirent la suite des Biennales de Knokke, et permirent aux poètes d’ici de rencontrer des poètes du monde entier.

Robert Varlez et Jacques Izoard
présentant les revues 12 et Odradek
Photo G. Thiry 1975

 

Jacques Izoard, se souvient Maria Beuken, fut dans ses années d’intenses productions poétiques, l'inspirateur de ce que Luc Bérimont appellera dans le Figaro « l'école de Liège » dont l'enjeu était de « publier la poésie contemporaine » dans l'esprit de la revue Odradek. D’après Kafka, Odradek est « extraordinairement mobile et ne se laisse pas attraper »….

DR

izoard002bFrancis Édeline affirme l’existence de l’École de Liège dans une présentation de 1975. Et lui propose un cadre conceptuel. Il s’agit de treize poètes qui tentent, selon Izoard, de « dire la réalité ébouriffée d’ici, d’aujourd’hui, en Wallonie, au pays de Liège. L’écriture, dès lors, prend vie, à travers revendications et cris et chants au fil des lèvres barbelées, près du cœur qui bat l’alerte ou qui, tout au contraire, accompagne nos rivières, nos chemins, nos sommeils. » Au nombre de ces poètes, dont certains noms se confondent avec la litanie des amitiés izoardiennes de l’époque : Anne Body, Michel Carpeau, Roland Counard, Jean-Pierre Dobbels, Henri Falaise, Jean-Marie Grosjean, Gaspard Hons, Christian Hubin, Jean-Claude Legros, Jean-Pierre Mathoul, Eugène Savitzkaya et Daniel Simon. Édeline souligne l’absence d’une recherche purement formaliste et la sensualité généreuse qui caractérisent ce mouvement.

Proche par l’esprit de L’Atelier de l’agneau et de  la librairie Le Quai, située en Roture, le Cirque Divers, qui reçut en son temps Eugène Guillevic, Alan Ginsberg, Adonis, Andrée Chédid et tant d’autres, fut le premier lieu où Izoard proposa des lectures, des rencontres et des entretiens autour de poètes vivants.

En 1995 et 96, sous l’impulsion de l’asbl La Griffe, eut lieu chaque dimanche, Quai Sur Meuse, en plein cœur de la Batte, le petit marché de la poésie. Il s’agissait de  rencontres littéraires animées par Jacques Izoard et Robert Varlez. On y vit passer Gaston Compère, Pierre Coran, William Cliff, Guy Goffette, Marcel Moreau, André Schmitz, Eugène Savitzkaya, Jean-Pierre Verheggen et tant d’autres. Lorsque La Griffe ferma ses portes, c’est l’asbl le Carlo Levi, rue Saint Léonard, qui reprit le flambeau pour quelques années supplémentaires. Suite à des problèmes de locaux au Carlo Levi, et dans la volonté de ne pas voir disparaître ces moments devenus indissociables du paysage culturel et dominical liégeois, les « dimanches poétiques » ont déménagé de l’autre côté de la Meuse et ont poursuivi leurs  activités à l’asbl l’Aquilone. Izoard y recevra entre autres Caroline Lamarche, Véra Feyder, Sylvie Nève, Ruddi Lippert ou encore Alain Dantinne.

Toujours sous la houlette d’Izoard, avec l’aide de Carmelo Virone, l’association de Michel Antaki, Le Cirque divers, puis D’une certaine gaieté  ont organisé bon nombre d’activités littéraires.  Et en particulier la Nuit de la poésie durant laquelle les grands noms comme les petits se réunissaient dans un endroit stratégique pour une nuit de lectures animée « jusqu’à l’aube » avec humour et décontraction par Izoard. L’asbl Émulation, quant à elle, accueillit « La Maison des Mots », baptisée par Jacques Izoard et développa pendant quelques années une intense activité poétique. Elle a fait entendre à Liège les voix de poètes francophones aussi importants que Anne-Lise Koltz, Marie Étienne ou Lionel Ray.

Jacques Izoard aimait avoir un public, à qui raconter sa vie, ses époustouflantes rencontres avec Louis-Ferdinand Céline, André Breton, Jules Supervielle, Jules Romains, Marcel Jouhandeau ou avec les geôles albanaises. S’il était un grand poète, c’était aussi un admirable conteur, subtil et décapant et un véritable homme de spectacle. Sans idée préconçue, fidèle en amitié, subversif, insoumis, souvent intransigeant, Jacques Izoard était avant tout ennemi de  la médiocrité. C’est le lendemain des funérailles de son ami le poète et romancier Gaston Compère, qu’il s'est éteint à 72 ans, victime d'une crise cardiaque à son domicile.

 

 

Karel Logist
Avril 2012

icone crayon

Karel Logist est avant tout poète, mais aussi romancier, éditeur, animateur infatigable de la vie culturelle et de la promotion des lettres. Il a reçu en novembre 2009 une Special Recognition du Conseil culturel mondial.

Page : précédente 1 2