Lire Jacques Izoard

Photo6Art poétique, art de vivre : pour un poète comme Izoard, c’était une seule et même chose. Il a maintes fois laissé entendre sa difficulté d’être, qui, chez lui, était difficulté de se concevoir en tant que personne, individu. Il livrait le moyen que fut d’emblée pour lui l’écriture du poème. L’être (l’individu) chez Izoard existe, et n’existe, qu’au travers de la main qui prend, touche, caresse et point, des yeux qui contemplent, détaillent et possèdent, du corps qui éprouve ses propres membres, souffre ou jouit, du sexe qui bande. Le dire en un poème, c’est exister. La poésie n’était pour lui ni discours, ni construction, ni projet, mais condition de vie. C’est la même main qui touche, caresse et écrit.

Photo : DR

Certes, il en va de même pour bien des poètes, à commencer par les plus grands. Mais l’immersion dans son œuvre, que j’évoquais plus haut, laisse sentir au lecteur que, chez Izoard, cette dimension existentielle de l’écriture est inscrite au cœur de chaque mot, chaque phrase.

Automatisme et composition concourait à son écriture, en une alchimie qui échappe largement au lecteur. Il corrigeait peu, surtout dans les deux dernières décennies, mais il évoquait l’élaboration mentale qui conduisait au surgissement sur le papier du poème tout armé. Et c’est là que se lovait peut-être la sensation de vie la plus intense de Jacques Izoard : dans l’instant, dans les minutes ou les secondes où sentir et dire ne formaient qu’une seule expérience : vivre-écrire.

Le poème est le lieu où la langue et le corps de l’homme Izoard rencontrent l’autre et le monde, où il se trouve soi-même :

 Je te prie d’être… J’écoute.
Un marronnier rond glapit
des paroles fracassées.
L’hiver est giboyeux.
0388TILTVentre ouvert. Je ne sais pas.
Je saisis le bras, la main.
Je l’aime.

(Un chemin de sel pur, 1969)

Hésite. Haleine en bouche.
Une petite chaleur existe
en-dehors du corps, des os.
Rien n’est plus léger
que ce semblant de brume.
La paume arrête les mots.
La paume est une paume.

(Thorax, 2007)

Photo © ULg - Michel Houet 2007

 

Trente-cinq ans séparent ces deux poèmes, que rapproche la constance d’une poétique où l’autre est présent et désiré. Car Izoard avait beau concevoir le poème comme un caillou serré sur lui-même ou comme une bogue hérissée, l’autre n’en était pas moins le destinataire du discours poétique :

Ne pas se retrancher derrière les vocables, mais faire en sorte qu’ils soient le salutaire fil conducteur allant de l’un à l’autre. Briser ainsi le halo de vide autour des êtres, les aimer. Poème d’aujourd’hui, sois le creuset de toutes nos ruptures, de nos tâtonnements, de nos paroles bègues. (Inédit de 1978)

Aff IZOARDWEBIzoard était avant tout un poète dans la Cité. Pour lui, même s’il se focalise sur de menus objets,

Le poème n’est pas à l’écart du monde : il fait flèche, il dénonce la liberté sans cesse maculée, bafouée. À mots couverts, il s’indigne de ses propres secrets. Sur la place publique, il témoigne en faveur de la petite tendresse ou gronde en colère noire.

(Texte inédit de 1975)

Photo d'Izoard par Pierre Houcmant, affichée sur la place des Béguinages,
au moment de l'inauguration des Bancs Izoard. Photo ©Daniel Dutrieux

C’est ce que manifeste le texte Petites merveilles, poings levés, daté de 1979, et que la fondation Maison Jacques Izoard mettra à l’honneur pour sa séance inaugurale du vendredi 22 juin.

Le poète y « milite pour les droits du paysage » : « Il s’agirait […] de vivre en symbiose avec notre entourage, notre paysage, notre eau vive, nos collines et de les défendre avec vigilance contre toute injure. Il s’agirait de réparer les infamies. » En un « dérisoire itinéraire », un « court périple d’enfance wallonne », le poète y visite dix « petites merveilles », industrielles ou ardennaises, paysagères ou intimes, situées « dans [s]on aire, dans [s]on pays wallon livré aux étrangleurs de la beauté ». Les amis de Jacques Izoard l’ont souvent entendu parler d’une d’entre elles au moins : « les bordures usées de porphyre rouge de la rue Haute-Sauvenière ».

 

Gérald Purnelle
Avril 2012

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Gérald Purnelle mène ses recherches dans le domaine de la métrique, de l'histoire des formes poétiques contemporaines, ainsi que la poésie francophone de Belgique. Il a édité les 3 volumes des Oeuvres complètes de Jacques Izoard.


 

Œuvres complètes de Jacques Izoard, 3e tome, 2006-2008, sous la direction de Gérald Purnelle, Paris, Éditions de la Différence, collection « Œuvres complètes», 2012. 656 p.
ISBN 978-2-7291-1959-1

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