Lire Jacques Izoard

En somme, l’air de rien, Izoard est sans doute un de nos grands poètes mallarméens – il a d’ailleurs obtenu le prix Mallarmé en 1979 pour le recueil Vétu, dévêtu, libre ! – bien plus près des mots que des idées, en ce sens que chez lui se réalise le vœu de l’auteur de « Crise de vers », que les mots « s’allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries ».

Lecture de poèmes de Jacques Izoard par lui-même (1983) :

Izoard ne cherche pas l’indicible. On peut même oser dire qu’il ne cherche pas. Cela transparaît dans sa revendication explicite de l’ignorance. C’est une dimension cardinale de sa poétique. Voici un extrait d’un texte majeur, intitulé « Matière et poésie » et daté de 1982 :

Au mot « mystère », je préfère le mot « opacité ». Oui, opacité des choses et des êtres.
C’est grâce au mot « opacité » que le mot « mystère » touche le mot « matière ».

N’importe-t-il pas de retarder au maximum le moment de la « connaissance », de la clarté finale ? L’essentiel de nos passions les plus fécondes ne gît-il pas précisément dans nos perpétuelles interrogations ? Dans leur vulnérable élan ?

La pensée ne serait-elle pas une folle girouette ? Tout l’alimente en quelque sorte. La pensée ne se satisfait jamais du « J’ai compris ». Elle continue sa course folle et impitoyable. Elle pense pour penser. Dès lors, mérite-t-elle, en fin de compte, tous les égards qu’on lui prodigue ?

Au mot « mystère », je préfère peut-être le mot « ignorance ». Ignorance échevelée qui lance ses sondes dans toutes les directions à la fois. Doux plaisir naïf que la belle ignorance qui fait que l’on est heureux sans le savoir. Je n’aime pas ce que j’ignore, mais c’est le fait de savoir que j’ignore qui me fascine. Qui me pousse à l’aventure.

Il y avait une certaine audace, et sans doute pas mal de second degré, mais aussi de conviction, chez un homme aussi cultivé que lui, pour faire cette profession de foi.

Photo © Francis Édeline

izoard-edine004Dans une très belle séquence de poèmes reprise dans le recueil Corps, maisons, tumultes (1990), il développait ce thème, ce désir d’ignorance, en l’appliquant à ses objets et obsessions les plus intimes : « Ignore un jardin », « Ignore cette maison », « Ignore la chambre », « Ignore l’encre », « Ignore les mots », « Ignore l’enfance », « Ignore les voyages », « Ignore l’autre », « Ignore le temps qui vient ». Il n’y a en cela aucun nihilisme. C’est au contraire un véritable art poétique, doublé d’un art de vivre, qui se définit à travers la revendication de l’ignorance : non pas nier les choses, mais d’abord les ignorer pour mieux les découvrir, en renouvelant le moment premier de la rencontre, en rendant à chaque chose et à l’appréhension du monde leur naïveté d’origine.

Ignore un jardin.
Si la peste légère t’atteint,
laisse venir à toi
perfidies ou désastres…
Ne parle qu’à des sourds
qui font la sourde oreille.
Que les muets t’appellent
de leurs cris fermés
d’écume ou de craie !
Peu importent les corps.
Il fait beau.

Ignore ce que l’arbre engrange.
Lumière et verdeur.
Déchirée véracité multiple.
Je serre contre moi le bouleau
qui me vit naître.
Ma peau a sa blancheur
si je l’aime en vain.

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