Les mots d'Izoard

 

 

(Cet hommage avait été publié une première fois, lors du décès du poète)

izoard au jardinJacques Izoard (1936-2008) a voué toute son  existence à la poésie, la sienne comme celle des autres. Il a habité poétiquement sa ville, dont il fut le Piéton comme Fargue était celui de Paris. On a pu le rencontrer sur tous les fronts : chez les éditeurs, chez les libraires, dans les comités de rédaction,  dans les jurys, dans les rencontres de poètes, dans les bistrots littéraires, partout où il y avait chance de parler poésie.

Dès ses débuts il a occupé une place singulière dans le panorama de nos lettres. Ce n’est pas un poète de l’effusion romantique. Il ne raconte ni le monde, pour le célébrer ou pour le rejeter, ni lui-même. Il ne se berce pas dans le formalisme : pas de rimes, pas de vers réguliers, pas de formes fixes, pas de syntaxe tourmentée. Il a pour l’abstraction la plus grande méfiance. Qu’est-il alors ? Il est fasciné par le pouvoir des mots. Par leur pouvoir d’évocation sonore ou sémantique. Il fallait l’entendre clamer ses poèmes : il semblait à la fois en déguster les mots et les projeter au dehors comme un artificier. Par moments il en avait peur, comme si aussitôt prononcés ils échappaient à son contrôle.

Les mots sont traités comme des êtres vivants et autonomes. Souvent ils s’engendrent les uns les autres. Les mots sont des objets dont on ne pénètre vraiment le sens qu’en les prononçant. Par quel secret a-t-il échappé au piège de l’inanité sonore ? Certainement d’abord par l’extrême concision de ses poèmes : 5 à 6 vers brefs de 4 à 9 syllabes, concision qui laisse une place chez le lecteur pour un sillage d’associations libres. Certainement aussi, et plus encore, parce que les mots chez lui, toujours, conservent leur charge de concret : ce sont les mots du corps et des lieux.

Izoard a eu une production poétique abondante (plus de 6000 textes dont 4000 recueillis dans les deux premiers tomes de ses Œuvres complètes en 2006, et depuis cette date un nombre considérable d’inédits), au cours de laquelle on peut noter l’apparition progressive, avec la maturité, de thèmes plus recueillis, de préoccupations plus graves.

ji-oc1 ji-oc2

Mais il faudrait aussi faire le portrait de l’homme, dénué de toute agressivité, relevant avec humour les bizarreries du monde, à peine ébranlé par le « manteau de pauvreté » qu’il endossa dès le début de sa carrière, d’une capacité d’accueil illimitée vis-à-vis des jeunes poètes, intéressé par toutes les paroles poétiques, fussent-elles aux antipodes de la sienne… Jamais il ne se départait de cette retenue pudique, teintée d’autodérision, qui faisait de lui un compagnon amical et fraternel.

C’est aujourd’hui l’homme, autant que le poète, que pleure la ville de Liège.

 

Francis Édeline
 2009- Avril 2012