La renaissance d’Espace Nord

« Un projet atypique entre la Bibliothèque de la Pléiade et Marabout »

espacenordNée en 1983 chez Labor, Espace Nord, la collection de poche destinée à mettre en valeur le patrimoine littéraire belge francophone, a été reprise en 2008 par les Éditions Luc Pire. Puis revendue deux ans plus tard à la Communauté française de Belgique (devenue la Fédération Wallonie-Bruxelles) qui, suite à un appel d’offre, en a confié la gestion fin 2011 à une association formée par la maison d’édition belgo-française Les Impressions Nouvelles et Cairn.info, portail internet de publications de sciences humaines et sociales fondée par quatre maisons d’éditions (une belge et trois françaises) et par un laboratoire de l’ULg, Le Lentic. Tanguy Habrand, éditeur aux Impressions Nouvelles et assistant à l’Université de Liège au sein du Département des Arts et Sciences de la Communication, commente ce rachat et parle de l’avenir de la collection.

Pourquoi et dans quelles circonstances Les Impressions Nouvelles ont-elles repris Espace Nord ?

Cela fait plusieurs années que nous suivions les vicissitudes de la collection, ballotée d’éditeur en éditeur, et le tapage médiatique autour de ses prétendues renaissances. Quand j’étais en Romanes, Jean-Marie Klinkenberg nous initiait en grande partie à la littérature francophone belge à travers Espace Nord et d’une certaine façon, j’ai toujours associé les deux. Sans parler du rôle fondateur de Jacques Dubois au principe de la collection. Le fait qu’Espace Nord se trouve pris en otage du marché éditorial était d’autant plus lamentable, et nous souhaitions intervenir d’une manière ou d’une autre. Lorsque la Fédération Wallonie-Bruxelles, devenue propriétaire d’Espace Nord en 2010 en vue de sauver la collection, a lancé un appel d’offre relatif à sa gestion, il nous a semblé que le moment était venu. Non seulement l’expertise et la reconnaissance des Impressions Nouvelles nous paraissaient à la hauteur du projet, mais nos sympathies personnelles pour Espace Nord ont rapidement transformé en nécessité ce qui aurait pu n’être qu’une simple réponse à un appel d’offre.

Pourquoi en association avec Cairn.info ?

La plupart des éditeurs sont aujourd’hui en mesure de se lancer à peu de frais dans le numérique, mais cette conversion s’accompagne rarement d’une vision. À ce titre, la société Cairn.info, d’abord spin-off de l’ULg, a pu montrer ce qu’il est possible de faire dans le domaine des sciences humaines à partir du moment où l’on cesse de considérer le numérique comme un gadget ou un faire-valoir. Nous avons multiplié les séances de travail avec Marc Minon, son directeur, dans les bureaux de Cairn.info, dans le quartier du Longdoz, pour coécrire notre réponse – une réponse inattendue d’une certaine façon, car on collabore en définitive assez peu dans l’édition. Le partage des tâches est globalement le suivant : nous nous occupons de l’éditorial au sens traditionnel et Cairn.info travaille le numérique, l’impression à la demande et le site web. Mais la plupart de ces tâches sont réalisées en concertation.

Quelle est votre philosophie de cette collection ?

Espace Nord est un projet atypique, quelque part entre la Bibliothèque de la Pléiade et Marabout. De la première, on retiendra la rigueur et la constitution d’un Patrimoine. Du second, des livres accessibles, un format de poche, une attention portée au monde scolaire et un esprit ludique. La mission éducative d’Espace Nord est primordiale, et il faut d’autant plus prendre du bon temps avec cette collection. Notre philosophie est à la croisée de deux chemins arides, le savant qui tombe des mains et le mercantile qui vous saute au visage. De là, tout est possible et nous ne voulons pas enfermer Espace Nord dans une pièce étroite. Peut-être est-ce là l’une des influences les plus prégnantes des Impressions Nouvelles, dont l’une des singularités réside dans le décloisonnement, le transgenre, le refus des catégories contraignantes. Nous avons à l’esprit des projets qui dépassent le livre au sens strict, permettront d’ouvrir la collection à d’autres formes éditoriales ou créeront résolument la surprise sans renier pour autant la portée patrimoniale du catalogue.

Quel est votre contrat avec la Fédération WB ? Quel est le cahier des charges ?

Très pratiquement, nous sommes tenus de commercialiser le fonds Espace Nord, de gérer le stock et les contrats, de promouvoir la collection et de publier un nombre minimum de titres chaque année – huit réimpressions annuelles de titres épuisés et huit nouveautés sur proposition d’un comité éditorial – accompagnés d’une lecture critique en fin de volume. Nous agissons « pour le compte » de la Fédération Wallonie-Bruxelles et assumons donc toutes les tâches d’un éditeur classique, mais le fait que la collection (la marque, le stock, les contrats) appartienne à l’État empêche de facto toute forme de dérive. Par exemple, nous ne pourrions pas procéder à une liquidation de stock sans autorisation préalable. Au quotidien, cette situation permet également de travailler certains aspects en collaboration étroite avec les pouvoirs publics.

Quel est le rôle du comité éditorial ?

Le comité éditorial veille à l’intégrité et au renouvellement d’Espace Nord. Selon nous, il était important que ce comité soit un carrefour professionnel (l’université, l’écriture, la librairie, les bibliothèques, l’enseignement), géographique (la capitale et la province) et générationnel, un lieu de rencontre entre des sensibilités diverses. Il compte dans ses rangs Paul Aron, Françoise Chatelain, Anouk Delcourt, Rony Demaeseneer, Laurent Demoulin, Caroline Lamarche, Christian Libens, Jean-Luc Outers, Pierre Piret et Rossano Rosi. Les compétences du comité sont principalement mises au service du programme des nouveautés d’Espace Nord, de la qualité de l’appareil critique des volumes et du rayonnement de la collection.

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