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Hubert Antoine

23 février 2012
Hubert Antoine

L’écriture d’Hubert Antoine est comique, incongrue, loufoque, aphoristique, faussement morale, libre et jubilatoire. Les mots sont libres, le non-sens est roi, et le plaisir du lecteur : entier.

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Sa biographie nous apprend qu'Hubert Antoine est né à Namur en 1971 et qu'après une formation en facultés de Droit et de Philosophie et lettres comme auditeur libre, il est parti en 1996 à Guadalajara, au Mexique, où il a fondé un petit restaurant de crêpes et de gaufres, le Coq à poil, et où il vit toujours. Il y a du cuisinier ou du sorcier du langage dans sa poésie, mais ses textes ressemblent peu à des crêpes (rondes et planes), à peine à des gaufres (les trous, néanmoins).

À ce jour, Hubert Antoine compte cinq livres à son actif, dont la succession trace une évolution assez notable. Le premier, Le Berger des nuages, est paru en 1996 à L'Arbre à paroles. Le titre et un usage encore classique de la métaphore (« la nuit chambre mon corps / comme du vin ») pourraient placer ce court recueil dans le droit fil d'une poésie d'inspiration courante. Mais on y relève, à postériori, les prémices de ce qui aiguillera l'écriture d'Antoine sur une voie personnelle. Si la psychanalyse pointe le bout du nez (« Le désir parle une langue enchaînée »), tout comme la métaphysique (« et les années s'entassent dans l'inexistence »), l'incongru a déjà sa place (« dans le crépitement des étoiles / impalpable / un ange se masturbe »), soutenu par une tendance à la sentence poético-aphoristique (« les rivières sans pont / ne craignent pas l'effondrement des hommes »).

C'est en passant à la prose dans la première section de La Terre détournée (Le Cormier, 1999) puis dans Vociférations (Le Cormier, 2000) qu'Hubert Antoine invente une langue et une diction propres. Les textes du premier, tout en phrases courtes et assertives, combinent la juxtaposition, d'apparence arbitraire, des mots et des images, avec un insolite effet d'imperceptible logique qui redouble la fantaisie du propos :

La clenche rouvre son artère. Les cloisons pleuvent par bouquets. Une pointe d'aquarelle visse sa langue, lui coupe des ailes aux soies du fleuve. Terrier à luette d'azur.

Le lecteur est perplexe, mais ne s'ennuie pas : faut-il comprendre ? chercher un sens ? parier sur la gratuité, totale ou partielle, de ces assemblages ? On est toujours à deux doigts – ou un peu plus – de donner une cohérence aux choses, aux mots. Mais on retombe toujours entre les phrases et les images, là où s'amuse le poète :

Au coassement des mines de nuit, incrusté à la toupie, il chrysalise le bourgeon. Escarre de la vitesse. Appât du cristal des zodiaques et des laines d'espaces.

Vociférations allonge les textes et, de la sorte, élargit les ambitions du poème. Si l'incongru règne toujours (« Un héron vole entre les vulves des serrures » ou « Dans la gueule des deuils où prennent les corbeaux leurs pennes, un bulbe de liliacées perd sa dernière dent »), certaines phrases, sous couvert de la même fantaisie, s'adressent au lecteur (« Tu craches sur le poète mais sonnes à sa vessie et tètes sa chamelle ! ») et délivrent un art poétique éclair :  « Point de postface à l'étincelle », c'est-à-dire, me semble-t-il : dans l'étincelle qui jaillit du chocs des mots arbitrairement rapprochés se cache toute l'intention du poème ; toute explication serait vaine ; ou : « Ainsi tout est lié, l'ongle à la musique et la chèvre au taciturne. L'optimisme qui bouge permet ta glissade, le conte des denrées n'a pas de fin propre », à savoir : l'esprit est libre de relier toute réalité à toute autre, par le truchement des mots, et là gît le bonheur du poète.

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Évoluant toujours, Hubert Antoine est ensuite passé  à la narration courte, dans Introduction à tout autre chose (Gallimard, « Verticales », 2006), que la quatrième de couverture qualifie de « premier livre de prose » de l'auteur, ce qui doit vouloir dire qu'il échappe au genre poétique auquel appartenaient les précédents. Chacun des soixante textes courts (de deux pages chacun) déroule un micro-récit qui dérive d'un point de départ au gré de la fantaisie des mots et des associations, sans toutefois trop perdre le fil d'un thème initial (dans les cas les plus favorables !), chaque texte portant un titre qui commence par « Introduction de » suivi de ce thème. La dimension narrative et la longueur accrue paraissent légèrement moins convenir à l'imagination de l'auteur, mais on retrouve tout au long du volume les surprenantes pépites que l'on avait appris à goûter. Trois exemples : dans « Introduction de Dieu » : « Dieu ne ressemble pas à un homme, en tout cas, vu de l'intérieur, il n'a pas d'organes » ; à la fin d'« Introduction du froid » : « Un tribunal inanimé me condamne au reste de ma vie. Je purge encore cette peine » ; et au début d'« Introduction du mrkrpxzkrmtfrz » : « D'abord ça n'existe pas. Il faut le trouver. Des poils de barbe collent à la voix quand je le prononce. »

Revenu à la poésie, Hubert Antoine a livré en 2011 un nouveau recueil (au Cormier) qui est une véritable fête pour l'esprit : Exercices d'évasion. À nouveau, quelque chose a changé, tout en conservant les mêmes traits d'humour, de surprise et de liberté créative.

Dans ces courtes proses, d'une ligne à une page, se mêlent, pas si harmonieusement que cela, des tonalités philosophantes et fantaisistes, délirantes et moralistes. En salves d'images et de syllogismes vrais ou faux, il y a du métaphysique et de l'absurde, du politique et du psychanalytique dans cette poésie.

Le poète aime les jeux sur les enchaînements de mots et d'idées, en un chassé-croisé des signifiants et des signifiés :

Il ne faut pas engloutir la nuit avant d'avoir vidé la sève de chaque caillou. D'ailleurs le hibou l'a dit : pneu peut prendre un x quand on change la roue. C'est un exemple.

Il exploite de manière subtile, sans la lourdeur des évidences, la polysémie du lexique : « On vit dans son milieu, rarement dans ses extrémités. »

Cet exemple illustre aussi une tendance à l'aphorisme qui n'était que sporadiquement présente dans les livres antérieurs, davantage fondés sur l'irrationnel, mais qui le situe tout autant dans la tradition du surréalisme belge : « L'art n'a pas besoin de tuba pour remuer la mer. »

Un moraliste pointe donc sous le virtuose des mots : « On ne supplie pas un réveille-matin. Question d'éthique. » Hubert Antoine se défend pourtant de philosopher : dans une réponse sur un blog, à propos de son livre précédent, il affirme : « Ma philosophie ne va pas au-delà de l'étonnement » – ce qui est déjà beaucoup. Mais ce n'est plus vrai pour Exercices d'évasion, le titre le dit d'ailleurs par la bande. La morale d'Hubert Antoine paraît sociale ou politique ; elle prétend résister, au nom de la poésie :

Participer au bien-être commun est loin de mon idée de justice, moi dont les revenus sont des courants d'air et dont la fortune croît à chanter l'automne sous quelques applaudissements de feuilles de noyer.
Je mets le pied à l'étrier du papillon et l'emmène vers une nouvelle fleur.
(La philosophie de la machine à sous vient d'en prendre un coup.)

Il suffit de regarder comment les dominos tombent en file indienne pour vouloir être du côté des flèches perdues.

Se montre-t-il misanthrope, comme dans ces phrases dont François Jacqmin aurait pu assumer l'assertivité, sinon le propos ?

Ah ! Le sale mot de sociabilité. Cette infâme nécessité de plaire muscle pourtant l'irrépressible.

Au moins donne-t-il à méditer : « Grâce à sa lenteur, un arbre ne montre jamais là où il veut aller. »

À voir penser plus directement ce poète sans qu'il se départisse de son humour, on se prend à soupçonner que cette pensée relève du seconde degré, qu'un rôle se joue sous couvert d'aphorismes et de sentences définitives. Celui qui dit je dans ces textes paraît bien se moquer de lui-même :

L'horizon me tente mais je suis fidèle à la fragilité.

Qu'ai-je à craindre ? Je suis le héros de ma conception du monde.

Moi, c'est un foie gras qui pend à l'arbre de ma genèse, et le serpent a son couvert, et l'âme aussi, et le génie !

Un oiseau me pond une pomme sur la tête. Je sers quelques temps de cible aux flèches de l'amour, puis elles se lassent de me crever les yeux.

La gravité se cache-t-elle sous la dérision ? ou est-ce l'inverse : « Et si je me bats avec la pluie, c'est parce qu'elle fait briller ma tombe. »

Parlant sur le même blog de son écriture, Hubert Antoine tient à préciser, judicieusement, qu'elle ne relève ni « du surréalisme ni de l'écriture automatique » : « C'est plus proche de l'assemblage des flocons pour former la boule de neige. Quelques mesures sous un métronome arythmique. » Cela s'appliquait bien à ses savoureux recueils précédents. Mais on salue l'ouverture vers la pensée savoureusement subversive par laquelle elle se renouvelle.

Je suis impatient de lire le prochain recueil d'Hubert Antoine, un poète qui apporte du neuf dans la poésie.

Gérald Purnelle
Février 2012

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Gérald Purnelle mène ses recherches dans le domaine de la métrique, de l'histoire des formes poétiques et de la poésie française moderne et contemporaine.


 

Bibliographie

Le Berger des nuages, L’Arbre à paroles, 1996.
La Terre détournée, Le Cormier, 1999
Vociférations, Le Cormier, 2000.
Introduction à tout autre chose, Gallimard, « Verticales », 2006.
Exercices d’évasion, Le Cormier, 2011.


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