Cultures urbaines : les choses bougent. Danseront-elles ?
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Prenons le cas de la danse. Il n'existe pas en Belgique de compagnie de danse hip hop ou urbaine. On a fait le travail de maturation artistique, les danseurs ont pris conscience de la nécessité de mettre sur pied un cadre technique adapté, mais le reste n'a pas suivi. Le milieu ne s'est pas encore montré capable de se structurer convenablement, il n'a pas les contacts et l'accès aux codes implicites nécessaires pour entrer dans le circuit artistique.

En outre, on rencontre un terrible manque d'ouverture de la part des opérateurs culturels institués, qui n'achètent pas de spectacle de danse urbaine. Or, nous sommes persuadés qu'il y a un public familial qui permettrait de remplir les salles. On en a fait la preuve en mars 2011, à Bruxelles, à l'occasion de notre festival annuel de danse urbaine, qui s'est déroulé cette fois à Bozar. Il y avait énormément de monde pour voir les spectacles présentés à l'intérieur du Palais des Beaux-Arts et dans la galerie commerciale voisine. Mais si personne ne se montre prêt à acheter les spectacles, personne ne prendra le risque de passer beaucoup de temps à essayer de les vendre.

Un travail de fond a été entrepris avec une série d'interlocuteurs qui croient aux perspectives de développement. On essaie de convaincre les opérateurs de changer leurs habitudes. On incite les artistes à faire ce qu'il faut pour convaincre. Il faut que les spectacles qu'ils proposent soient de niveau suffisant pour qu'on ne puisse pas les refuser sur des critères de qualité. Des choses bougent, même si ça reste laborieux.

La situation en France est très différente, à tous points de vue. Un chemin exemplaire a été accompli, avec parfois des réussites phénoménales dans certains domaines, en particulier la danse. Au sein de Lézarts Urbains, le modèle français a largement stimulé nos désirs et nos ambitions.

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La différence entre les deux pays est manifeste tant au plan commercial qu'au plan de l'institution culturelle. Pour les musiciens comme pour d'autres disciplines, il y a dans l'Hexagone un vrai marché. Les artistes circulent, ils peuvent faire une saison en tournant dans un grand nombre de villes, et gagner leur vie de cette manière. En outre, les disques se vendent, une vraie économie s'est constituée. Pour un musicien belge, aller en France, ce n'est pas gagné. Le marché est relativement protectionniste, et probablement plus pour les cultures urbaines que dans d'autres domaines. Nous disons entre nous : « Quand on vient des milieux populaires, on a encore plus faim. » Le milieu en arrive donc à être plus protectionniste. En France, les banlieues cristallisent des tensions sociales beaucoup plus fortes qu'en Belgique. On y accepte moins facilement les artistes étrangers (je ne parle pas des artistes américains).

Du côté de l'institution culturelle, les choses sont aussi plus avancées en France. On y trouve une tradition de conscience culturelle d'une tout autre nature qu'en Belgique francophone. Il y a traditionnellement plus d'argent dévolu à la culture, quel que soit le courant culturel concerné. C'est un enjeu de prestige. Au-delà de ça, les responsables culturels ont très vite compris que s'ouvrir aux cultures urbaines, c'était poser un acte politique qui correspond à une sorte de nécessité.

Jack Lang, ministre de la Culture sous la présidence de François Mitterrand, a été le premier à ouvrir une grande exposition de graffitis au Louvre. Il a aussi débloqué les premiers budgets. Cette politique a été très positive. Que, par la suite, ont ait cherché à instrumentaliser les artistes, en croyant qu'il suffisait de montrer du hip hop sur des scènes nationales pour éviter les incendies de voitures, c'est une autre question... Ce qui est certain, c'est que très rapidement, les responsables culturels se sont rendu compte qu'ils ne pouvaient pas ne pas s'ouvrir à ces créations, que les cultures urbaines, c'était porteur.

En 1992 déjà, MC Solaar a remporté une Victoire de la Musique comme un des artistes de l'année. À Bruxelles, on en était encore au temps où le Botanique, Centre culturel de la Communauté française de Belgique, ne voulait pas qu'on organise un concert chez eux.

Pour ce qui est des danses urbaines, il y a aujourd'hui en France un diplôme d'État qui consacre le statut de professeur de danse hip hop, comme il en existait déjà précédemment pour l'enseignement de la danse jazz ou de la danse classique. Il y a aussi deux centres chorégraphiques importants qui leur sont consacrés : un à La Rochelle1, l'autre à Bron, dans la banlieue lyonnaise et Créteil est en discussion. Avec des moyens pour produire, pour diffuser, pour assurer des formations, dans des lieux très bien équipés. On atteint dès lors un niveau de professionnalisme qui complique encore les choses pour les artistes belges qui veulent franchir la frontière. Ils sont rarement en mesure d'atteindre le niveau d'exigence attendu. Le manque de moyens a aussi une incidence sur la qualité.   

 

Carmelo Virone

 

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Carmelo Virone est coordinateur du Bureau d'études SMartBe. Écrivain, traducteur, essayiste, critique littéraire et critique d'art, il a été longtemps rédacteur en chef du bismestriel de littérature belge Le carnet et les instants

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Alain Lapiower est psychosociologue, animateur culturel, musicien et directeur de l'association Lézarts urbains. Il a publié notamment Total respect sur l'émergence de la culture hip hop en Belgique francophone.

 


 

1 http://www.ccnlarochelle.com
 
Photos :  Urban session, juin 2009 © Dati Bendo

 

 

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