Cultures urbaines : les choses bougent. Danseront-elles ?

Mais au fond, la difficulté de trouver des cadres compétents pour le hip hop repose moins sur des questions techniques que politiques. Pendant de longues années, cette pratique artistique a été rejetée et méprisée par la classe culturelle, y compris par les techniciens. Ce rejet selon moi était lié aussi en grande partie à l'origine sociale du hip hop, qui s'est développé dans des milieux populaires, issus de l'immigration et fortement stigmatisés. On refusait de considérer qu'on avait affaire à une esthétique particulière. Le rap ou la danse hip hop étaient considérés comme des sous-produits, qui n'étaient pas dignes d'intérêt.

 

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Une partie du travail de Lézarts Urbains consiste donc à essayer de faire en sorte qu'il y ait ces ingénieurs du son et des cadres adaptés aux besoins des artistes avec lesquels nous travaillons. Un travail de médiation culturelle a été et est encore nécessaire.

Des questions de base se posent à tout jeune artiste : comment devenir artiste, comment faire reconnaître son travail, comment s'entourer de gens compétents. ? D'autres sont spécifiquement liées à ce courant-là.

Une première difficulté est à épingler au niveau de la diffusion artistique, parce que le public majoritaire des cultures urbaines a peu de moyens financiers. En outre, il n'a pas l'habitude du geste culturel : aller au concert, au spectacle, dans un festival ne va pas de soi. On constate dès lors une inversion de proportion étonnante entre l'importance potentielle de ce public et la réalité des événements effectivement mis sur pied. Il y a par exemple peu de de concerts de rap, alors que c'est une des formes majoritairement écoutées par une foule de gens.

Une deuxième difficulté, énorme, est de réussir à disposer de compétences suffisantes dans les métiers connexes (production, gestion, organisation ou encore communication, qui est un noeud stratégique essentiel). Là encore l'origine sociale des acteurs entrave souvent le travail, parce qu'ils n'ont pas appris à se structurer, à s'organiser, à avoir de la constance, de la rigueur... autant de qualités nécessaires dans le métier. Acquérir une maîtrise de ce type lorsqu'on provient de milieux pauvres, en proie à des difficultés sociales, est beaucoup plus lent, plus laborieux que dans des milieux où c'est une espèce d'évidence.

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Là encore, Lézarts Urbains joue un rôle de médiateur, de facilitateur culturel. Mais on s'arrache les cheveux, aujourd'hui, parce qu'on a mis au point une série de dispositifs de formations et d'aides aux projets artistiques, mais on ne trouve pas de diffuseurs, pas d'agents, pas d'organisateurs d'événements ni de responsables de communication efficaces. Il ne suffit pas de développer le versant artistique, en travaillant à l'élaboration de musiques plus riches ou à une meilleure occupation de la scène. Il faut aussi des métiers connexes, qui manquent cruellement.

On a pu observer de très près la manière dont certains ont essayé de s'atteler à ces différents métiers et les difficultés qu'ils ont rencontrées. Les trois-quarts d'entre eux se sont plantés. Ils ont baissé les bras, ils ont craqué ou fait faillite. Ce sont généralement des gens qui ont été artistes eux-mêmes, qui parfois ont continué de l'être. Ils se sont plutôt axés à un moment donné sur des métiers connexes, sans réussir.

Le problème, c'est que ces prétendants à la fonction d'agent ou d'organisateur ne disposaient pas de fonds de réserve, ce minimum de capital qui permet de démarrer dans ce type de métier et de voir venir. Difficile d'emprunter autour de soi quand ni la famille ni les amis n'ont d'argent. Quant aux banques, ce n'est même pas la peine d'en parler : elles ne prêtent pas pour ce genre de métier. Il est arrivé à Lézarts Urbains d'avancer des fonds à certains, des sommes relativement modestes, par exemple 3000 euros en attendant que la personne reçoive une aide publique. Des aides pour les agents ou pour les labels existent, en effet. Mais même pour recevoir une subvention, il faut d'abord avoir fait ses preuves pendant quelques années. On doit exister avant d'avoir les moyens de le faire.

 

Dernier point crucial : la communication, qui est l'arme principale du travail de diffuseur. La com, c'est d'abord un carnet d'adresses, mais les gens qui proviennent de milieux de misère ne disposent pas de ce genre de carnets. Ils n'ont pas d'emblée un solide réseau de relations qui leur donnent accès aux bonnes personnes relais.

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