Dans la pratique : paysage social et initiatives entrepreneuriales

Initiatives individuelles : les artistes qui se font entrepreneurs

Désireux de ne pas suggérer que les seuls moyens de survie économique des artistes se trouvent dans des structures extérieures, l'ouvrage se clôt sur une série d'exemples concrets d'artistes ayant opté pour la voie de l'entrepreneuriat. Ces récits de parcours, de tranches de vie permettent de comprendre que l'entrepreneuriat n'est pas diamétralement opposé aux préoccupations artistiques.

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Hugo Klinkenberg, DJ plus connu sous le nom d'Hugo Freegow, propose une réflexion sur l'évolution de la position sociale de la figure du DJ dans nos sociétés. Bien que l'art du DJ constitue une forme particulière de travail artistique, il est incontestable qu'il s'agit actuellement d'une figure incontournable du paysage musical, qu'il soit compositeur ou "simple" mixeur. « Dans un contexte où l'offre dépasse largement la demande, le DJ doit user de stratégies multiples pour exercer  son activité et, éventuellement, pouvoir en vivre ». L'entrepreneuriat correspond, dans ce contexte, à un besoin, mais aussi à l'identité profonde de l'artiste : le dj est un porteur de projet, « une personnalité mue par un besoin quasi irrépressible de réalisations ».

Dans un entretien accordé à Lieven Van Keer, Vincent Buss, alias DJ Prinz, revient sur son parcours d'artiste. Garçon de café et DJ semi-professionnel à ses débuts, Vincent Buss s'est progressivement inscrit dans une trajectoire professionnelle. Après une période passée à exercer diverses commandes pour le compte d'établissements ou d'associations diverses, l'artiste a ressenti le besoin de créer sa propre entreprise : « l'esprit d'entreprise a très vite repris le dessus », confie-t-il. L'entrepreneuriat lui permet de prendre son devenir artistique en main, tout en s'exposant davantage aux risques : sorte de situation inévitable dans laquelle il voit néanmoins une « source de stress positif, une incitation à entreprendre sur le plan musical ».

Un autre exemple d'adoption de pratiques entrepreneuriales dans le champ artistique nous est fourni par Alain Lapiower, directeur de  Lézarts Urbains. Association centrée sur les cultures urbaines (hip hop, danse contemporaine, graffiti, etc.), Lézarts Urbains souffre actuellement du manque de structuration professionnelle. Lapiower souligne la nécessité de « pouvoir disposer d'un cadre technique, puis d'un cadre de diffusion artistique, puis d'un cadre de gestion, commercial ou non : comment se professionnaliser, en un mot ? ». L'entrepreneuriat pourrait constituer une réponse à cet état de fait, par rapport à cette nécessité de structurer professionnellement un secteur artistique. Car art et économie ne peuvent être pensés séparément. Comme le dit Lapiower : « le manque de moyens a aussi une incidence sur la qualité ».

 

Conclusion : des artistes, des entrepreneurs

À la question « L'artiste est-il un entrepreneur ? », on serait tenté de répondre « oui et non ». L'entrepreneuriat est une notion floue et fluctuante, chargée de significations souvent différentes selon le positionnement des acteurs qui la convoquent. Peut-être serait-il plus juste de dire que « les » artistes sont « des » entrepreneurs, dans le sens où leur incursion dans la logique entrepreneuriale peut se faire de multiples façons : consciemment, inconsciemment, par l'adoption d'une vision différente de l'art, par l'appropriation de techniques et de logiques économiques, par la volonté de vivre de leur art, par le désir de faire un profit, par la nécessité de survivre, par l'ambition de créer une entreprise, etc.

On le voit, les exemples sont légion. Quels points communs, en effet, entre un Jeff Koons et un artiste choisissant de créer une petite structure juridique ? Au-delà de ces disparités, il est possible de mettre en évidence que l'entrepreneuriat, qu'il soit appliqué de manière franche ou latente, doit être davantage accessible aux artistes contemporains. Le choix de l'entrepreneuriat ne doit plus se faire selon des réflexes conditionnés, héritage de conceptions philosophiques ou d'un certain type de formation de l'artiste, mais à partir d'un choix raisonné et conscient.

L'ouvrage nous fournit un grand nombre de cas de figure, de théories, d'états des lieux, applicables à des contextes très divers, fruits d'un discours économique, social, artistique, politique. Un ensemble hétérogène, nous l'avons vu, qui nous affirme pourtant cette nécessité pour l'artiste de se responsabiliser vis-à-vis de sa pratique créatrice. C'est peut-être dans ce sens que doit être comprise la notion d'entrepreneuriat dans le secteur artistique.

 

Kevin Jacquet
Février 2012

 



 
Illustrations : Lisa Matthys. Reproduites ici avec l'aimable autorisation de l'artiste.

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