Dans la pratique : paysage social et initiatives entrepreneuriales

On assiste, selon Krzeslo, non pas à une raréfaction des emplois, mais à la disparition progressive des emplois permanents à temps plein. À leur place se développent différents types d'emplois ponctuels : « les emplois à temps réduits, les emplois à durée déterminée, les emplois temporaires, l'intérim, les piges, les missions, mais aussi l'auto-emploi, ou les multiples formes d'emplois indépendants. Le statut d'intermittent fait partie de ce paquet ». Cette situation de mobilité des travailleurs et de réduction des contrats place le salarié dans une situation de double dépendance : envers son employeur, mais aussi envers le donneur d'ordre, qui impose ses règles au salarié mais qui ne doit respecter aucun engagement envers lui. Les multiples employeurs n'ont qu'un lien temporaire avec l'employé et n'ont, en conséquence, que des obligations limitées dans le temps. Au contraire, l'employé est placé dans une situation où il doit « tout donner » et faire preuve de ses qualités dans une durée très réduite.

Krzeslo distingue cependant différents types de travail intermittent. L'intermittence peut, dans certains cas, s'avérer positive : dans le cadre des informaticiens par exemple, car l'intermittence permet une mobilité et un approfondissement permanent des savoirs. Elle souligne pourtant l'existence d'autres secteurs où les travailleurs se retrouvent coincés dans la précarité de l'intermittence : l'hôtellerie, la restauration, le nettoyage, etc. Bien que son analyse touche l'ensemble du monde social, l'auteure ajoute néanmoins que cette nouvelle logique de l'emploi, où les figures de l'employé et de l'employeur disparaissent progressivement pour laisser place à une relation commerciale entre un « fournisseur de service » et un « client », touche aussi le monde de la culture et des arts. Alors que les textes précédents critiquaient la manière dont le modèle juridique a manqué de s'adapter à l'émergence de l'intermittence propre à l'activité artistique, le présent article montre comment une transposition de cette logique économique, sociale et juridique à d'autres cas de figure peut être dommageable.

 

Initiatives structurelles : associations d'aide aux artistes

Si l'ouvrage dresse un état des lieux du fossé existant entre réalité du terrain et structures économiques, sociales et juridiques censées supporter l'activité artistique, divers témoignages relatent les expériences initiées en Belgique, en France et aux Pays-Bas pour palier la situation actuelle. Examinons le cas de quelques initiatives collectives développées au sein du territoire belge ayant pour visée d'encadrer et/ou de financer les projets artistiques. 

CultuurInvest est un fonds d'investissement flamand actif depuis 2006 dans l'industrie de la création. Il vise les entrepreneurs qui créent et lancent sur le marché des produits ou des services au contenu culturel et créatif, dans une perspective d'autonomie financière. Les fonds  investis permettent de créer davantage de revenus mais aussi de disposer d'une comptabilité saine. Pour Raf Vermeiren, directeur de CultuurInvest, le terme d'investissement est capital : « cet instrument est distinct du système des subsides : CultuurInvest investit, il ne subventionne pas. Les investissements supposent en effet un remboursement et un rendement financier ». Ce fonds d'investissement, soutenu par les autorités publiques, vise à contrer le manque d'investissements privés dans l'industrie de la création. Il concerne les secteurs suivants : musique, audiovisuel, design, maisons d'édition, arts de la scène, arts plastiques, etc. L'investissement de C.I. peut se matérialiser par un prêt ou par des participations dans le capital de l'entreprise. En optant, en lieu et place des subsides, pour la voie de l'investissement, participation active, engageant davantage le partenaire, CultuurInvest entend, de l'aveu même de son directeur, renforcer l'interaction entre entrepreneuriat et créativité :

« Les entrepreneurs font preuve de créativité face aux occasions qui se présentent à eux, ils mettent en œuvre les moyens nécessaires de manière créative. En d'autres termes, il existe une forte alchimie entre l'entrepreneuriat, l'innovation et la créativité. L'entrepreneuriat et la créativité interagissent fortement entre eux et peuvent se renforcer l'un l'autre.
De par sa nature d'investisseur, CultuurInvest entend renforcer cette interaction ».

Pendant francophone de CultuurInvest, St'art Invest est un fonds d'investissement à destination des entreprises créatives de Wallonie et de Bruxelles. L'origine du projet est sensiblement identique : le constat d'un manque de cohérence, de développement et de soutien financier dans le domaine de l'économie créative a amené la Région wallonne et la Communauté française à soutenir la création de cet instrument de partenariat économique. Les déclarations de Virginie Civrais, directrice de S.I., coïncident fortement avec celles du directeur du fonds d'investissement flamand :

« Nous ne sommes pas dans le domaine de la subvention ni de la co-production, mais dans un domaine de partenariats économiques. St'art est un outil financier qui intervient sous forme de prêt ou de participation au capital pour financer ou consolider le cœur de la société, sa structure, son développement, et indirectement ses projets ».

Virginie Civrais met par contre en évidence une problématique à peine esquissée lors de la présentation CultuurInvest :

« L'objectif est d'accompagner la société à moyen terme, au moment de sa création ou dans une phase de développement. Quand St'art entre dans le capital d'une société, nous assumons pendant plusieurs années notre part de risque et prévoyons dès le départ notre sortie avec un rendement faible. On risque ensemble et on gagnera ou on perdra ensemble ».

La question mérite d'être posée : peut-on vraiment considérer ce genre d'initiative comme étant de véritables investissements économiques ? Ces derniers reposent souvent sur l'idée de rendement, de bénéfice et du risque limité. La nature de ces initiatives, notamment lorsqu'elles sont, comme c'est le cas pour St'art Invest, totalement composées de fonds publics, reste floue : partenariat économique ou aide à la création ?

Ces investissements se situent à la frontière entre l'économique et l'artistique. Il y a, d'une part, la volonté d'évaluer « un positionnement dans un environnement, un marché et la valeur ajoutée de la société », sans tenir compte de critères artistiques. D'autre part, St'art tient à se distinguer des « invests traditionnels », en choisissant délibérément de valoriser des actifs immatériels propres à la création, tels que les idées et le temps investi dans la recherche et le développement. En plus de ce partenariat économique, le fonds d'investissement propose d'occuper des postes d'observation au sein de l'entreprise, voire, si la situation le demande, une implication dans la gestion administrative.

Outre les services de conseil et d'aide aux projets proposés par SMartBE2,  l'ASBL s'est également dotée en 2004 d'un outil spécifique de gestion et de production : Les Activités SmartBE. Anne Dujardin et Héléna Rajabaly reviennent sur les caractéristiques et les raisons d'être de cette cellule. Les Activités permettent à des artistes de dresser une ligne continue entre différents contrats à durée déterminée. Ce dispositif entend offrir une réponse à la dynamique actuelle du travail par projet. De plus, il permet aux artistes de se dispenser de créer une structure et d'adopter le statut d'indépendant, étant donné que la gestion est assumée par la structure collective de production. Ceci leur permet de déjouer les contradictions du système social, en adoptant de facto un statut d'entrepreneur mais en conservant le statut juridique de salarié intermittent.



Pour plus d'infos, site internet de SMartBE

 

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