Culture, le magazine culturel en ligne de l'Universit� de Li�ge


L'artiste a-t-il le droit de se soustraire à la réalité économique ?

21 February 2012
L'artiste a-t-il le droit de se soustraire à la réalité économique ?

boekenevenement250

La notion d'entrepreneuriat semble aller de soi. Pourtant, son utilisation dans des domaines divers, tels que l'art, implique de s'interroger sur la nature même de l'entrepreneuriat : est-ce une stratégie, une attitude, une philosophie, l'inscription dans un champ différent ? Comment dès lors appréhender la notion d'entrepreneuriat artistique ?

 

Freins à la mise en place d'une culture entrepreneuriale dans le champ artistique

Une première manière d'appréhender la perception par les acteurs artistiques de l'entrepreneuriat serait de faire le point sur les possibles difficultés à imposer ce modèle dans le champ de l'activité artistique, des points de vue social, économique et culturel.

Le premier frein, que nous avons esquissé dans le premier article de ce dossier, est la vision d'un artiste insoumis, indépendant et imperméable à toute contingence extérieure. Cette conception romantique de l'artiste « poète maudit » n'est certainement plus si forte de nos jours, ce qui ne l'empêche pas de trouver un écho dans l'esprit de la plupart des acteurs du champ artistique. Un art qui s'occuperait de rentabilité ou de commercialisation est un art qui perdrait de vue son objectif premier, à savoir produire des œuvres. Cette conviction a été nettement renforcée par la mise en place dans nos sociétés d'une économie culturelle régie par un système de subventions et d'aides publiques dès l'après guerre. Ces subventions garantissant jusqu'à l'existence même d'une multitude de formes artistiques – théâtre, danse, opéra... –, il est dès lors aisé de généraliser cette dynamique à l'ensemble des arts.

Cette première réticence – probablement la plus importante – en dit déjà beaucoup sur la vision de l'entrepreneuriat qu'ont la majorité des artistes : le monde de l'économie pure, de la rentabilité, de la recherche du profit, de la marchandisation et du consumérisme. L'artistique serait de ce point de vue l'un des derniers remparts contre le capitalisme sauvage promu par nos sociétés occidentales. Sandrino Graceffa, président de SMartFR, établit un état des lieux éloquent :

« La persistance de la figure romantique de l'artiste maudit qui a émergé au 19e siècle constitue encore aujourd'hui un véritable frein culturel à la reconnaissance des professions artistique. Nous nous heurtons à des images archétypales, selon lesquelles le véritable artiste serait toujours à la fois génie, précurseur et maudit : un marginal, vivant en dehors des systèmes établis, doué d'un talent inné et visionnaire mais banni de toute réussite économique puisqu'incompris de ses contemporains. [...] La marchandisation est souvent appréhendée comme un renoncement immoral à la pureté de l'acte créatif. Les expressions de "vendre son âme au diable" ou "réaliser un travail alimentaire", dans ce cadre, témoignent de la difficile relation de l'artiste à l'argent ».

D'un point de vue microéconomique, les œuvres artistiques doivent être exemptes de toute considération financière. D'un point de vue macroéconomique, la production culturelle doit pouvoir être garantie et régulée par le financement des pouvoirs publics. Nous verrons pourtant comment la mise en place de démarches entrepreneuriales ne signifie pas nécessairement « vendre son âme au diable » ; l'entrepreneuriat ne se réduisant pas seulement à sa seule dimension économique.

Ces prédispositions, système de pensées et d'habitudes que l'on pourrait qualifier d'habitus au sens bourdieusien du terme, trouvent aussi leur origine dans le domaine de l'enseignement artistique. Giep Hagoort, professeur en art et économie à l'Université d'Utrecht, dans son texte « L'enseignement de l'entrepreneuriat culturel », met en évidence  à quel point l'enseignement artistique reste hermétique aux questions entrepreneuriales et économiques :

« La question primordiale est la suivante : les formations artistiques sont-elles prêtes à devenir interdisciplinaires et à combiner l'art - notamment à des concepts issus du management ? Le problème est que la plupart des formations ne maîtrisent pas cette discipline et que si des cours en entrepreneuriat existent déjà, ils sont essentiellement donnés en marge du programme, par des professeurs invités ».

Ce manque d'implication, volontaire ou non, de la part des écoles artistiques dans les problématiques concrètes de la pratique artistique a deux conséquences : premièrement, les artistes récemment diplômés ne se soucient que très peu de faire face aux implications économiques et financières du métier – avec pour possible conséquence d'y être insensibles – et sont du coup démunis face à la question du « comment vivre de son art ». La situation est d'autant plus complexe que certains étudiants ne demandent pas mieux que d'avoir davantage de compétences dans les domaines économiques, comme le souligne Giep Hagoort. Pourtant, une majorité d'entre eux perçoivent toujours leur art comme une forme pure et indépendante de toute question pratique. Arjo Klamerrelate un exemple édifiant de cette dynamique de désintérêt des écoles etpar extension, des étudiants :

« Tandis qu'un certain nombre d'artistes [...] arrivent à brasser d'importantes sommes d'argent, les autres doivent, dans leur grande majorité, se contenter de moins que le salaire minimal. On a parfois l'impression qu'ils ne se soucient pas des rentrées financières. C'est ce qui m'a encore frappé lors d'une rencontre avec des étudiants de l'école des beaux-arts de Rotterdam [...]. On m'avait demandé d'aborder la perspective de l'économie de la culture. Les étudiants ont écouté avec attention la présentation passionnée qu'un artiste a faite de son œuvre, puis ils se sont intéressés de plus près au sens de cette œuvre [...]. L'idée m'intriguait mais, invité pour m'exprimer en tant qu'économiste de la culture, je ne pouvais pas laisser passer l'occasion de demander ce que ce travail rapportait sur le plan financier. C'était manifestement la question à ne pas poser. J'ai pourtant insisté. Combien gagnait-il par an grâce à son art ? 20 000 euros ? 10 000 euros ? Moins ? À contrecœur, il finit par admettre que cela ne lui avait pas rapporté plus de quelques centaines d'euros. Enfin, peut-être, il n'en était même pas sûr. De toute façon, ça n'avait aucune importance. Les étudiants hochèrent la tête avec conviction ».

Quelques écoles, dont la Haute École des beaux-arts de Utrecht, mettent en place des programmes faisant la part belle aux implications économiques, financières et entrepreneuriales du travail artistique. Le chemin est encore long pour changer les consciences mais nul doute qu'une réforme de l'enseignement artistique est nécessaire pour former les artistes à la pratique de leur art, mais aussi à la subsistance économique.

Même s'il nécessaire incontestablement pour les protagonistes du secteur artistique de faire preuve d'une plus grande ouverture envers les prises de position et les stratégies entrepreneuriales, il n'empêche que l'économie ne peut s'insérer « telle quelle » dans le champ artistique. D'autres valeurs sous-tendent l'art, la circulation des œuvres et les prises de position des artistes. C'est ce qu'Arjo Klamer met en évidence :

« Après avoir travaillé pendant des années en tant qu'économiste dans le secteur des arts, j'ai pris conscience des limites du vocabulaire économique courant. En enseignant à des artistes des concepts économiques fondamentaux tels que le marché, le produit, le prix, l'efficacité et le profit, je ne tenais pas compte de leur réalité. Ce langage est tout simplement inopérant dans un domaine comme l'art ».

L'économiste va tenter de dresser les contours propres à une économie de la culture, régie par des valeurs particulières. L'idéal de la qualité est placé au-dessus de celui de la quantité : au lieu de viser des bénéfices, un chiffre d'affaires, on tendra plutôt vers la réalisation d'un projet, d'une œuvre...). Ensuite, cette économie se caractérise par sa volonté de réalisation de valeurs culturelles, sociales et sociétales. Enfin, la culture se veut aussi porteuse de la valorisation de changements de valeurs : amener un public vers de nouvelles œuvres, etc. L'idée d'une économie basée sur la culture et adaptée à celle-ci est primordiale,  et annonce la volonté de créer un véritable « entrepreneuriat artistique ».

 


 

 

De la nécessité de l'émergence de l'entrepreneuriat en art

Sarah de Heusch, sociologue, Anne Dujardin, économiste, et Héléna Rajabaly, démographe, épinglent ce qu'elles considèrent être les principales caractéristiques du travail artistique. L'artiste développe, selon elles, de plus en plus son activité dans le cadre du « travail au projet ». Pour exercer son activité de la manière la plus favorable possible, l'artiste organisera son activité selon quatre principaux motifs. Premièrement, la multi-activité : l'artiste ne pouvant prévoir son employabilité à long terme, celui-ci va s'engager dans un nombre d'activités très diverses, qu'elles soient artistiques, para-artistiques (l'enseignement notamment) ou non-artistiques. Ces activités permettent à l'artiste de vivre de son art mais aussi de s'intégrer davantage dans le secteur, par la constitution d'un « portefeuille d'activités et de ressources ». Deuxième grand élément selon les auteures, l'artiste a fréquemment recours à un noyau dur de clients. Ces collaborations successives avec les mêmes clients favorisent le maintien des artistes sur le marché du travail artistique, et témoignent de la profonde imbrication des rapports personnels dans les rapports professionnels. Les artistes travaillent ensuite constamment à la diversification de leurs compétences, qu'ils acquièrent par formation ponctuelle, institutionnelle ou non, ou simplement « sur le tas » ; que ces compétences soient strictement artistiques ou connexes (gestion, leadership, expertise financière, légale, etc.). Enfin, l'activité artistique s'inscrit et se développe à l'intérieur de réseaux. Chaque artiste travaille au développement de contacts, de réseaux à l'intérieur desquels un mécanisme d'interdépendance relie chaque membre. Pour les auteures, la démarche entrepreneuriale en art consiste à prendre en compte ces différents paramètres. De la sorte, l'artiste sera davantage maître de son destin, et appréhendera mieux les règles du jeu socioéconomique auquel il participe – consciemment ou non :

« En conclusion, il ressort de cet article que les artistes entrepreneurs, travaillant au projet, doivent pouvoir manipuler et maîtriser différents éléments-clés [...] pour s'ancrer de manière durable dans le secteur et développer leurs activités ».

L'entrepreneuriat pourrait donc permettre à l'artiste de prendre conscience des conditions de sa réussite dans le champ artistique, et de mettre en place des stratégies adéquates. Les thèses du sociologue Pierre-Michel Menger, dans son texte « Œuvrer dans l'incertitude », renforcent de manière fort indirecte les vues que nous venons d'exposer. Menger met en en effet en évidence à quel point le travail artistique « est modelé par l'incertitude ». L'originalité esthétique et la valeur artistique ne peuvent se mesurer qu'en termes relatifs. C'est la compétition sur le marché artistique qui déterminera la valeur des réalisations artistiques, en fonction d'un flux de demandes. En conséquence de quoi les réussites, les progressions et les rémunérations sont l'objet de tournois dans lesquels l'évaluation de tout travail artistique se fait en fonction d'incessantes comparaisons. En d'autres termes, l'œuvre d'art n'a en soi aucune valeur esthétique ou marchande propre. Cette dernière est fonction de l'appréciation générale d'une œuvre, mise en relation avec un ensemble d'autres, « concurrentes ». « Nul ne peut s'engager dans le jeu ainsi réglé avec la certitude de triompher, parce que le talent ne se mesure pas directement, en valeurs absolues, mais par des comparaisons graduelles », nous dit le sociologue du travail. Même si elle n'est dite qu'à demi-mot, la thèse de Menger résonne avec les conclusions de Rajabaly et de Heusch : dans un environnement (le champ artistique) où la carrière des artistes ne peut être approchée que comme un « processus scholastique », l'entrepreneuriat, faute de garantir quoi que ce soit à l'artiste, lui permet néanmoins d'être doué d'une certaine conscience de sa position dans le champ, condition sine qua non pour pouvoir en maîtriser les règles.

Les économistes Michel Marée et Sybille Mertens, de l'Université de Liège, affirment que les mondes économique et artistique sont plus proches qu'on ne pourrait le penser, en mettant en évidence que le champ artistique n'échappe jamais véritablement à l'économique. Si l'économie culturelle dispose en effet d'une identité propre, elle ne peut se constituer en ignorant ou en s'opposant à l'économie. Les deux auteurs soulignent que « du point de vue l'économiste, l'art et la culture relèvent bien de la sphère économique et les artistes peuvent être considérés comme des producteurs, au même titre que de nombreux acteurs économiques ». En d'autres termes, les activités artistiques peuvent être mesurées au sein de notre société, comme toute autre activité économique, afin d'en appréhender le poids économique. Si les deux économistes argumentent clairement en faveur d'une prise en compte plus large de cette dimension économique inscrite dans toute initiative artistique, il ne s'agit pas pour autant de souscrire à la vision d'un entrepreneur culturel totalement porté sur la rentabilité. Il existe pour eux trois types de positionnement propres aux producteurs culturels et aux artistes : la recherche du profit maximum ; la recherche d'une viabilité financière ; et, enfin, le recours aux subventions. Aucune des trois logiques, quelle que soit son degré de recherche lucrative, ne peut prétendre échapper à la logique économique. À la question de savoir si l'artiste est bien un entrepreneur, les auteurs répondent : oui, pour autant qu'il y ait une activité économique de production, mais, surtout, une prise de risque.

 

L'entrepreneuriat artistique

Bien qu'il paraisse indispensable que l'entrepreneuriat se retrouve dans la pratique artistique, nous verrons à quel point cette notion est polysémique et fonction des convictions et des positions des auteurs qui l'emploient.

Sarah de Heusch, Anne Dujardin et Héléna Rajabaly, dont nous avons déjà évoqué les thèses, soutiennent que l'entrepreneuriat existe sous une forme bien particulière dans le secteur artistique. Elles rejoignent par là les idées de Menger qui entendait dissocier l'entrepreneuriat « classique » de l'entrepreneuriat artistique. Voici ce que les auteures proposent comme facteurs distinctifs :

« La particularité des entrepreneurs dans le secteur artistique tient en effet à plusieurs éléments. Tout d'abord, ils produisent des biens "culturels", qui s'inscrivent dans un marché distinct du marché "classique" ; d'autre part, ce sont souvent des personnes motivées par l'objet même de leur activité et par son aspect créatif, sans nécessairement en attendre un retour direct en termes de rétributions ».

Preuve de la filiation entre les travaux de Menger et les contributions de ses trois chercheuses, Menger est mentionné dans la bibliographie ; leurs conclusions débouchent en effet sur le même constat : l'entrepreneuriat est possible, voire nécessaire, mais sous une forme adaptée, singulière.

Dans son texte « Sur la relation entre le métier d'artiste et l'entrepreneuriat », Marc Ruyters entend souligner une différence fondamentale entre la figure de l'entrepreneur et celle de l'artiste, axée sur l'idée de production de l'objet/œuvre :

« L'artiste est celui qui réalise ce qui n'est pas censé l'être, il esquisse un concept que personne n'a demandé, affirme une proposition qui n'est encore venue à l'esprit de personne. L'artiste ne commence pas à se demander ce que ses contemporains veulent avoir, entendre, voir, expérimenter. Voilà une différence essentielle avec l'entrepreneur, qui vérifie d'abord, par des études de marché, le marketing, la publicité et d'autres outils commerciaux, s'il existe bien une demande pour le produit qu'il se propose de réaliser et de vendre (ou si cette demande peut être suscitée) ».

L'apanage de l'artiste est donc aux yeux de Ruyters une créativité relativement désintéressée, propre à un geste artistique qui n'a d'autre finalité que sa propre réalisation. On ne peut s'empêcher de retrouver dans ces termes la position que critiquent justement la plupart des auteurs de l'ouvrage, à savoir la doctrine de « l'art pour l'art ». Marc Ruyters prône donc le mariage de deux éléments a priori distincts, mais qui peuvent néanmoins se compléter.

Dirk De Corte est porteur d'une autre vision des relations entrepreneur-artiste. Ce consultant et coach en management s'arme des théories de l'économiste Schumpeter pour mettre en évidence que l'entrepreneuriat artistique n'est pas aussi particulier qu'il n'y paraît à première vue :

« L'entrepreneuriat artistique est beaucoup moins spécifique qu'on ne le suppose souvent. Bon nombre de problèmes auxquels l'artiste est confronté sont essentiellement les mêmes que ceux de tout autre entrepreneur. La créativité, le désir et la nécessité d'innover ainsi que la faculté de repousser les limites forment des conditions tout aussi importantes et nécessaires au succès d'une entreprise en dehors du secteur des arts ».

Si l'objet de l'entrepreneuriat artistique, une « matière première constituée par la culture et l'art », est particulier, les modalités entrepreneuriales restent, selon De Corte, identiques. Celles-ci sont caractérisées, dans l'économie dure autant que dans le secteur artistique, par l'innovation, la prise de risque, le comportement adaptatif et le comportement créatif. L'auteur insiste sur le fait que l'une des raisons de la séparation entre art et économie se trouve dans la méconnaissance par les artistes du monde de l'économie dure. La spécificité de l'entrepreneuriat artistique ne doit pas être surestimée de sorte que son rapprochement avec l'Unternehmergeist, cet esprit d'entreprise cher à Schumpeter, soit facilité.

Représentant d'une autre manière de concevoir l'entrepreneuriat dans le champ artistique, Sandrino Graceffa, président de SMartFR déjà évoqué dans ces lignes, préfère, pour désigner les possibles caractéristiques entrepreneuriales de l'artiste, la formule « l'artiste créateur de son propre emploi ». Le concept d'entrepreneur renvoie pour lui à une réalité économique, juridique, sociale et culturelle qui ne correspond pas au statut de l'artiste.

On le voit, il n'existe pas de consensus autour de la notion d'entrepreneuriat artistique, loin s'en faut. Annick Schramme souligne cette situation en dénombrant les principales conceptions de l'entrepreneuriat artistique et culturel : les tenants d'une opposition art -économie, le premier étant basé sur la recherche esthétique et le second sur la recherche du profit ; ceux qui considèrent que l'artiste est entrepreneur par nature ; les penseurs vantant les mérites de l'entrepreneuriat pour l'amélioration des conditions de vie des artistes ; les auteurs qui assimilent l'entrepreneuriat à une manière de penser, d'être au monde (la prise d'initiative, l'adaptation, etc.) ; et, enfin, ceux qui entendent établir des ponts entre le monde de l'argent et l'art, via le mécénat, l'autofinancement, les partenariats. On reconnaît dans ces catégories bon nombre de positionnements que nous avons passés en revue, preuve que l'entrepreneuriat artistique est une réalité aux contours multiples.

 

L'artiste a-t-il le droit de se soustraire à la réalité économique ?

geldschieter250

Que l'attachement aux valeurs entrepreneuriales relève d'un idéal financier, philosophique, comportemental ou macroéconomique, une question plus latente semble traverser l'ouvrage : l'artiste peut-il - voire, a-t-il le droit - de se soustraire à l'économique ?

Si cette question semble constituer l'un des fils conducteurs implicites de l'ouvrage, deux auteurs abordent néanmoins la question. Bart Caron, député Groen au Parlement flamand, s'interroge ouvertement :

« Un artiste devrait en fait être le moins possible entravé par des tâches ou des problèmes administratifs ou commerciaux. Ces aspects commerciaux, qui sont propres à l'entrepreneuriat, peuvent constituer de sérieux obstacles au processus artistique, ou être démotivants et empêcher toute nouvelle création. C'est certainement vrai, mais la question est de savoir si un artiste a la possibilité ou le droit de se soustraire à ces obligations commerciales. Sa qualité constitue-t-elle une raison suffisante pour cela ? Pourquoi un artiste aurait-il le droit de s'y soustraire et pas un plombier ? ».

L'homme politique évoque le principe du droit de l'artiste, mais aussi de ses obligations, sans pour autant prendre position par rapport à un débat extrêmement sensible et épineux. Cette notion de droits et d'obligations est aussi invoquée par Jef Van Langendonck au sujet de la place de l'artiste dans la sécurité sociale. Ce dernier argue que l'artiste ne peut disposer d'un statut particulier au sein de nos sociétés. Lui accorder un statut privilégié reviendrait à aller à l'encontre des principes d'impartialité et de non-discrimination.

La place que peuvent et doivent occuper les artistes dans nos sociétés est sujette à débats. L'artiste se voit tantôt confiné aux bords de la société et tantôt placé au centre de celle-ci. Au-delà des divergences, nous voyons néanmoins comment les différents théoriciens, acteurs culturels et artistes plaident pour une plus grande maitrise par l'artiste des paramètres pouvant concourir à sa survie matérielle et artistique.

 

 

Kevin Jacquet
Février 2012 

 

 


 

Illustration : Lisa Matthys. Reproduite ici avec l'aimable autorisation de l'artiste.


� Universit� de Li�ge - https://culture.uliege.be - 29 March 2024