L'activité artistique est-elle une activité économique ?

En montrant comment l'art et l'économie entretiennent des relations plus étroites que les acteurs du monde économique et artistique ne pourraient le présumer, différents textes présentent l'entrepreneuriat comme une voie possible vers le développement d'un nouveau positionnement artistique.

 

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Art et économie, une rencontre nécessaire...

Si la notion d'entrepreneuriat est assurément polysémique, il est indéniable qu'elle sous-tend avant tout une dimension économique.

Dans son article « Sur la relation entre le métier d'artiste et l'entrepreneuriat », Marc Ruyters, journaliste culturel et éditeur, distingue deux grands types de politique culturelle. Le modèle anglo-saxon, originaire des États-Unis mais aujourd'hui présent dans certains pays européens tels que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, est porteur d'une conception économique au sein de laquelle l'art doit se financer lui-même, « tout comme une entreprise », en conséquence de quoi il n'est pas jugé nécessaire de lui octroyer des subsides. En d'autres termes, chaque forme artistique – théâtre, opéra, concert, etc. – doit, pour subsister, générer suffisamment de recettes. Cette conception est néanmoins nuancée dans les faits par l'existence du mécénat, assez répandu dans ce type d'économie culturelle. L'autre tendance, le modèle européen, consiste en des pouvoirs publics interventionnistes, allant de pair avec un plus grand contrôle de l'industrie culturelle. (Image : « angelsaksichmodel »)

Marc Ruyters souligne néanmoins à quel point cette distinction tend à s'effacer dans le contexte de récession économique :

« Ce modèle [européen] atteint cependant ses limites : les pouvoirs publics doivent se résoudre à des économies radicales dans le contexte économique du modèle européen face au reste du monde, et le modèle de la subvention est de plus en plus remis en cause. Le débat n'est pas exempt de considérations idéologiques : l'idée populiste selon laquelle l'art n'est destiné qu'aux classes sociales aisées et que l'homme de la rue est écarté du temple de l'art par cette élite ne fait que gagner du terrain. Pour résumer, si le Studio 400 arrive à conquérir le monde uniquement avec des fonds privés, pourquoi l'Opéra flamand ou la Monnaie devraient-ils encore être subventionnés ? »

Le modèle interventionniste de « l'État Providence » est progressivement remis en cause ;  l'actualité et les diverses mesures budgétaires prises ces derniers temps suffisent à en attester. Dans nos sociétés du tout financier, du tout marchand, n'est-il pas utile pour le monde artistique de trouver de nouvelles manières d'inscription socioéconomique, de nouveaux modes de subsistance ?

L'ouvrage pose l'hypothèse que la rencontre entre art et économie pourrait constituer une réponse à cette crise vécue actuellement par les milieux artistiques. Un changement est nécessaire, de la part des artistes et/ou des pouvoirs publics.

Ainsi, Paul Dikker, artiste plasticien néerlandais, s'exprime sur son parcours et son devenir artistique :

« Je suis sûr d'une chose. Voici presque vingt ans que je vis uniquement de mes peintures et des commandes que je décroche çà et là. La façon dont j'exerce ma profession ne pourra vraisemblablement pas perdurer ».

Suzanne Capiau, dans son article « L'artiste, entrepreneur de l'incertain » ainsi que Sarah de Heusch, Anne Dujardin et Héléna Rajabaly dans « L'artiste entrepreneur, un travailleur au projet », soulignent un autre développement propre au travail artistique : la dynamique du travail par projet. Capiau se pose la question suivante :

« Hormis celui qui est engagé pour de longues périodes par les quelques institutions culturelles publiques, l'artiste n'est-il pas devenu aujourd'hui l'artisan de son propre parcours professionnel ? ».

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Les deux articles semblent répondre à cette question d'une manière relativement similaire : le parcours de l'artiste est aujourd'hui défini par une série de projets ; la plupart étant des œuvres artistiques (une représentation scénique, un album ou une exposition). La carrière de l'artiste est traversée par ces différents projets de facto limités dans le temps, et suppose de la part de ce dernier une gestion adéquate de l'équipe artistique, des conditions de travail et des rémunérations pour chacun de ceux-ci. Qu'il s'agisse du peintre travaillant sur une nouvelle toile, du chorégraphe mettant en espace un nouveau spectacle ou du vidéaste travaillant sur une nouvelle installation, il est nécessaire pour ces différents artistes de créer leur emploi de manière autonome, en faisant preuve d'initiative. Ces observations amènent les auteures de ces deux articles à avancer que « les porteurs de projet s'apparentent alors à de véritables auto-entrepreneurs ».

Le mode de travail propre à l'artiste, le « travail par projet », amène celui-ci à devenir une figure plus indépendante, plus « entreprenante ». Dans ce contexte, l'artiste a le choix. Soit il subit les diverses contingences socioéconomiques propres à nos sociétés contemporaines, soit il s'adapte à celles-ci. Entrepreneur par défaut, l'artiste aurait le choix entre la passivité et la prise d'initiative consciente et maîtrisée.

 

 

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