Juan Ramón Jiménez

Si Juan Ramón lui-même découpe son œuvre en étapes qui soulignent les différents changements de son écriture, il la pense aussi en termes de continuité. En effet, cette continuité ne s'oppose en rien à l'idée de transformation constante, laquelle touche principalement à la forme, alors que le fond – le but et les thèmes récurrents de son œuvre – reste bien souvent inchangé. Ceci renvoie à la conception même que l'auteur a de l'écriture : le travail perpétuel du mot. Il faut donc voir aussi à travers ces différents découpages, une « œuvre en marche » (Ibid : 24), une unité.

 

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Ce changement dans la continuité est retracé par l'auteur dans un de ses poèmes les plus célèbres tiré du recueil Eternidades, aussi traduit par Sesé :

Vino, primero, pura,
vestida de inocencia.
Y la amé como un niño.

Luego se fue vistiendo
de no sé qué ropajes.
Y la fui odiando, sin saberlo.

Llegó a ser une reina,
fastuosa de tesoros...
¡Qué iracundia de yel y sin sentido!

... Mas se fue desnudando.
Y yo le sonreía.

Se quedó con la túnica
de su inocencia antigua.
Creí de nuevo en ella.

Y se quitó la túnica,
y apareció desnuda toda...
¡Oh pasión de mi vida, poesía
desnuda, mía para siempre!

(Jiménez 2000: 22)

Elle vint, d'abord, pure,
vêtue d'innocence.
Et je l'aimais comme un enfant.

Puis elle revêtit
je ne sais quels atours.
À mon insu, je la haïs.

Et elle devint une reine
aux trésors fastueux...
Quelle ire de fiel insensée !

... Mais elle alla se dénudant
Et moi je lui souriais.

Vêtue seule de la tunique
de son ancienne innocence
et de nouveau je crus en elle

Et elle enleva sa tunique,
et elle apparut toute nue...
Ô passion de ma vie, poésie
nue, mienne pour toujours !

La poésie d'abord pure, s'orne peu à peu des atours du modernismo dont Juan Ramón finit par se détourner alors que son écriture retrouve son innocence et sa pureté premières. L'écriture doit être nue complètement, essentielle, épurée par le travail constant du poète sur le mot.

Il convient à présent de signaler que peu de recueils de Juan Ramón ont été traduits en français. Néanmoins, certains traducteurs se sont déjà attardés sur le travail du poète. Ainsi, Bernard Sesé a traduit Sonetos espiritualesSonnets spirituels – en 1989, Piedra y cieloPierre et ciel – en 1990, EstíoEté – en 1997, EternidadesEternités – en 2000, PoesíaPoésie en vers – en 2002 et BellezaBeauté – en 2005. Plus récemment encore, il faut signaler la traduction de Diario de un poeta recién casadoJournal d'un poète jeune marié – par Victor Martinez en 2008 et la traduction en 2009 de la très célèbre œuvre en prose Platero y yoPlatero et moi – par Claude Couffon4. Cependant, la tâche reste immense et bien d'autres traductions seront nécessaires pour faire découvrir ce Prix Nobel de Littérature au public francophone.

 

Héritage

La vie de Juan Ramón Jiménez est indissociable de son unique vocation : la poésie. Emprunter les chemins qu'il a parcourus nous permet de redécouvrir la vie d'un passionné qui a su allier, par un travail constant, la pureté du langage à la complexité de la réflexion. La littérature espagnole a été influencée par ses écrits pendant plus d'un demi-siècle et encore aujourd'hui, son empreinte reste bien visible dans le paysage littéraire. Comme le dit Valbuena Pratt, historien de la littérature espagnole : « Contrairement à Rubén Darío, qui marque l'apothéose d'une époque révolue [...] Juan Ramón présente un grand style qui sert de modèle à une nouvelle génération [...] Juan Ramón est, par conséquent, le maitre des poètes et non pas le maitre des disciples. » (Ibid. trad. personnelle)

Antoine Dechêne
Février 2011

 

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Antoine Dechêne  est étudiant en 2e Master Langues et littératures modernes.

 


 

Bibliographie
Gaos, V. (1983): Introducción a: Jiménez, J.R.: Antolojía poética, Madrid: Cátedra (Letras hispánicas, 19).
Jiménez, J. R. (1983): Antolojía poética, ed. V. Gaos, Madrid: Cátedra (Letras hispánicas, 19).
– (1987): Selección de poemas, ed. G. Azam, Madrid: Castalia (Clásicos Castalia, 158).
– (1998): Diario de un poeta reciencasado, ed. M. P. Predmore, Madrid: Cátedra (Letras hispánicas, 439).

 
En traduction :
Fleuves qui s'en vont, trad. Claude Couffon (édition bilingue), José Corti, 1980
Espace, trad. Gilbert Azam (édition bilingue), José Corti, 1988
Pierre et Ciel, trad. Bernard Sesé (édition bilingue), José Corti, 1990
Été, trad. Bernard Sesé (édition bilingue) José Corti, 1997
Éternités, trad. B. Sesé, José Corti, 2000
Poésie en vers, trad. B. Sesé, 2002
Beauté, trad. Bernard Sesé, José Corti, 2005
Journal d'un poète jeune marié, trad et préface de Victor Martinez, La Nerthe, 2009

 

 

 
 
4 Claude Couffon avait déjà traduit Platero et moi en 1956.

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