Arvo Pärt

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Fratres (frères en latin) est l'une des œuvres les plus connues d'Arvo Pärt. Il en commença la composition peu après la mort de Benjamin Britten survenue en 1976. Il venait juste de découvrir le compositeur anglais et son œuvre se voulait, avec le Cantus in Memory of Benjamin Britten, comme un trait d'union musical et spirituel entre eux. Datée de 1977, elle fut créée par un ensemble estonien de musique ancienne. En 1980, à la suite d'une commande du Festival de Salzbourg, il écrivit des variations sur le thème de Fratres ; variations créées par Gidon et Elena Kremer auxquels l'œuvre est aujourd'hui dédiée. Pärt est revenu à de nombreuses reprises sur Fratres et il en existe au moins sept versions différentes. Celles que le quatuor Tanat interprète ce soir est pour quatuor à cordes et fut arrangée en 1989. Elle repose sur une pédale de quinte (la-mi) qui est maintenue pendant tout la durée de la composition.

© Universal Edition / E. Marinitsch 

Pour arriver à cette « musique pauvre », le parcours de Pärt avait été tout sauf linéaire. On peut même affirmer que parmi les nombreuses biographies qui jalonnent l'histoire de la musique, celle du compositeur estonien n'est pas la moins singulière. Né le 11 septembre 1935 en Estonie, il fait partie de ces rares artistes dont la créativité dut se déployer au milieu des contraintes les plus fortes. Tiraillé entre communisme et capitalisme, sérialisme et minimalisme, orient et occident, athéisme d'état et foi personnelle, il réussit à se forger une voie tout à fait personnelle qui généra une nouvelle catégorie stylistique : le tintinabulisme.

Ce voyage entre les mondes et les genres, Arvo Pärt l'entreprend à partir de 1957 lorsqu'il entre au Conservatoire de Tallin tandis qu'en parallèle, il trouve un emploi à la radio estonienne en tant qu'ingénieur du son, poste qu'il occupe de 1958 à 1967. Sa première œuvre, Necrology, écrite dans un langage sériel ne récolte aucun suffrage auprès d'un régime allergique aux courants occidentaux. En 1962, l'une de ses compositions écrite pour chœur d'enfants et orchestre, Notre jardin (1959), le fait connaître dans toute l'Union soviétique et lui permet de remporter le premier prix des jeunes compositeurs de l'URSS. Mais la lune de miel est de courte durée. Credo sera par la suite banni parce qu'il comprend la phrase « Je crois en Jésus-Christ ». L'affirmation explicite de sa foi dans ses compositions d'inspiration religieuse de même que son adoption persistante du sériel lui attirent d'importantes inimitiés et limitent considérablement le rayonnement de son œuvre.

À la fin des années 1960, en proie à une grave crise créatrice, Arvo Pärt renonce au sérialisme et plus globalement à la composition elle-même. Pendant plusieurs années, il se consacre à l'étude du plain-chant et à celle de compositeurs de la Renaissance. Ses études et réflexions aboutissent à l'écriture d'une pièce de style intermédiaire, la Symphonie nº3 (1971) décrite par Pärt comme une « œuvre joyeuse, mais ne marquant ni la fin de mon désespoir ni de mes recherches ».

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Après une nouvelle période de silence, il publie une petite pièce pour piano devenue célèbre, Für Alina (1976) dans laquelle il met en place son style tintinabulant. « Je travaille avec très peu d'éléments, écrit-il - une ou deux voix seulement. Je construis à partir d'un matériau primitif - avec l'accord parfait, avec une tonalité spécifique. Les trois notes d'un accord parfait sont comme des cloches. C'est la raison pour laquelle je l'ai appelé tintinabulation ». L'année suivante, Pärt écrira dans ce nouveau style trois de ses pièces les plus importantes : Fratres, Cantus in Memoriam Benjamin Britten et Tabula rasa.

En 1980, il reçoit l'autorisation officielle d'émigrer en Israël. Il n'y arrivera jamais.  Accompagné de sa famille, il s'installe à Vienne et obtient la nationalité autrichienne. L'année suivante il part pour Berlin ouest où il vit depuis. Son succès croit alors dans tout l'Occident, ce qui a pour avantage de lui valoir un contrat avec la prestigieuse firme de disque avant-gardiste ECM.

Créateur d'une musique épurée, d'inspiration profondément religieuse, Arvo Pärt creuse à présent le sillon de son style « tintinabulien ». Ses œuvres sont jouées dans le monde entier et ont donné lieu à des dizaines d'enregistrements, ainsi qu'à de très nombreuses utilisations pour l'illustration sonores de musiques de films de Leos Carax à Gus Van Sant en passant par Robert de Niro. Fratres vient ainsi d'être utilisé dans la bande sonore du film There Will Be Blood (2008) de Paul Thomas Anderson. Il a aussi collaboré avec de prestigieux plasticiens dont Anish Kapoor et de nombreux chorégraphes.

Parmi les nombreuses distinctions qui l'ont couronné, Pärt est membre de l'American Academy of Arts and Letters (1996) et il est docteur Honoris Causa des universités de Durham, Sidney, Tartu et Fribourg.

Christophe Pirenne
Août 2009

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Christophe Pirenne enseigne la musicologie à l'Université de Liège. Ses recherches portent plus particulièrement sur la musique populaire contemporaine.