Plurilinguismes à la Renaissance italienne

Retour vers le futur

 

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Si je devais, par un bond chronologique, revenir à notre présent, et tirer les conclusions de cette observation « in vitro », je dirais que l'Italie de la Renaissance nous montre à quel point peut être fructueuse une attitude ouverte vers le plurilinguisme.

Sur le plan scientifique, je crois avoir montré qu'étudier les effets du plurilinguisme sur l'évolution des langues et de la pensée n'est pas uniquement l'affaire des linguistes et des historiens de la langue. Seule une approche interdisciplinaire, qui ne se soucie guère des clivages académiques, mais se préoccupe de comprendre les mots et les discours, l'évolution de leur sens et la portée de leurs usages, peut rendre compte de la complexité et de la richesse des phénomènes que j'ai trop brièvement épinglés.

Léonard de Vinci, Codex Madrid.
Canal de Florence - mer Tyrhénienne
© RMN France

 

Sur le plan sociétal, ne pas prendre en charge la diversité des langues et des cultures, et la richesse non seulement culturelle, mais aussi matérielle, qui peut en résulter, c'est faire preuve de myopie. L'histoire nous l'enseigne : l'identité plurielle de l'homme de la Renaissance a produit les plus beaux fruits de la culture européenne et a posé les bases de notre identité actuelle. Ce n'est pas parce qu'ils ont accueilli les mots provenant d'une autre langue que le toscan, que les discours de Machiavel et de Guichardin en sont devenus moins cohérents, ou moins puissants : même, ces mots, dont le sens a été précisé et adapté aux nouveaux temps, ont eu la force de distiller une lymphe revigorante dans d'autres champs du savoir. C'est parce que leur genèse était plurilingue que les mots employés par Titien ont pu essaimer à nouveau dans le reste de l'Europe, chargés de significations nouvelles.

Garder un œil tourné vers le passé nous permet de vivre le présent comme un défi, que nous pouvons relever en étant confiants : dans l'histoire que j'ai esquissée, l'exclusion de l'« autre » n'aurait pas permis les courts-circuits sémantiques, les innovations et les métamorphoses que nous avons observés dans notre « éprouvette ».

Il importe de conserver et de transmettre les valeurs de la diversité. Mais ce n'est pas seulement aux enseignants de proposer une approche formative prônant ces valeurs. À l'heure où j'écris, l'Europe se rend compte que la fermeture dans les limites – idéologiques, économiques, culturelles – du « chez soi » peut conduire à la fin. La transmission de savoir-faire et de savoir-être qui permettent de reconnaître, de comprendre, d'interpréter et d'accepter les autres doit être assumée par tout un chacun, dans l'intérêt de la collectivité. Il en va de la survie de l'homo europaeus.

Paola Moreno
Janvier 2012

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Paola Moreno enseigne la langue et la littérature italiennes à l'ULg. Éditrice de la correspondance de Francesco Guicciardini, historiographe et homme d’état contemporain de Machiavel, elle s’intéresse à l’étude de la langue et des textes de la politique à la Renaissance italienne. Elle est un membre actif de Transitions, Centre d’études du Moyen Âge tardif & de la première Modernité.


 

Bibliographie

COE 2000 : Conseil de la Coopération culturelle - Comité de l'éducation Division des langues vivantes de Strasbourg, Apprentissage des langues et citoyenneté européenne. Un cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Conseil de l'Europe, 2000.
 
COE 2009 : M. Cavalli, D. Coste, A. Crişan et P.-H. van de Ven, « L'éducation plurilingue et interculturelle comme projet »,  Conseil de l'Europe, 2009 ].
 
G. Folena, Il linguaggio del caos. Studi sul plurilinguismo rinascimentale, Torino, Bollati Boringhieri, 1991.
 
J.-L. Fournel et J.-C. Zancarini, La grammaire de la république. Langages de la politique chez Francesco Giucciardini, Genève, Droz, 2009.
 
E. Mattioda, « Machiavelli in Vasari », in Laboratoire italien 7 (2007), pp. 75-90.

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