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Rose-Marie-François, L'adieu. Une promenade douce-amère

21 décembre 2011
Rose-Marie-François, L'adieu. Une promenade douce-amère

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Dans son nouveau recueil, L'Adieu, Rose-Marie François développe son écriture douloureuse tout en voyant son style s'apaiser.

Le style, tel que le définissait Roland Barthes dans Le Degré zéro de l'écriture en 1953, est une trace que, dans le texte, laissent le passé et le corps de l'écrivain : une marque involontaire de son tempérament, en quelque sorte, qui s'oppose, toujours selon Barthes, à la langue (imposée par l'époque) et à l'écriture. Celle-ci est seule à répondre à un choix de la part de l'écrivain – choix à la fois social, moral et politique, qui s'exprime à travers une forme. Malgré le succès de la formule « degré zéro de l'écriture », cette typologie n'a pas vraiment fait florès, même dans la suite des écrits de Barthes. Pourtant, elle peut parfois rendre service : elle aide, par exemple, à penser le nouveau recueil que Rose-Marie François a fait paraître au Québec : L'Adieu. On y reconnaît sans conteste l'écriture de la poète, ses choix formels et thématiques, ses vers libres et ses poèmes en prose, sa technique du collage thématique et de l'allusion, sa faculté à mélanger l'intime et l'universel, mais le style s'y trouve singulièrement apaisé, adouci, comme si sa poésie ne se cherchait plus, mais s'était trouvée. La respiration profonde, physique, biologique, du texte, que l'on ressent à travers des rimes internes ou un ton doux-amer, paraît étrangement sereine, malgré la dureté du propos.

Le recueil est composé de trois parties. La première, qui s'intitule elle aussi « L'Adieu », laisse sans doute le mieux apparaître ce style nouveau et apaisé. De quoi y est-il question ? D'une lente traversée de l'Europe en voiture, de Belgique jusqu'en Lettonie. La nature occupe une grande place dans ce voyage et les poèmes en prose constituant cette première partie se font volontiers peinture : la technique, par petites touches, est plutôt impressionniste, mais le contenu, à n'en pas douter, est romantique. Il s'agit en effet d'une rencontre entre la nature et une intériorité. Mais le texte contient des contrepoints, qui s'avèrent humains : ceux-ci concernent, d'une part, la brutalité de l'urbanisation moderne et, d'autre part, les stigmates du passé, ou plutôt d'un passé précis : la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. Rien de mièvre, donc, dans ces évocations. En outre, ce cheminement s'avère douloureux en lui-même : la voyageuse retourne dans des pays aimés traversés naguère, mais elle semble les quitter plus que les retrouver. Elle se dit « en quête d'adieu » (p. 64). Toutefois, les questions identitaires et existentielles qui la troublent paraissent se poser au niveau de l'énonciation (de la personne qui écrit) plus qu'à celui de l'énoncé, de sorte que le texte est dominé par une forme de paix intérieure.

Il en va peut-être différemment de la seconde section, « Sur nous sur Mars », brève et écrite en vers libres : elle est plus violente, plus hachée, plus mystérieuse, plus difficile et peut servir de contre-exemple. Il s'agit d'une accélération, comme, dans un concert, un rock âpre s'intercale entre deux ballades. Les vers courts contiennent beaucoup de questions sans réponse, ils parlent de Mars, de guerre, de tempête, de feu, de « larmes » qui « trouent notre histoire ».

Vient la troisième et dernière partie. Du point de vue du style, elle est sans doute mois douce-amère que la première, tout en étant moins violente que la deuxième. Elle se constitue d'un dialogue entre la poète et un peintre non nommé. Il y est bien entendu question de l'art et de la création, mais cette section, intitulée « L'Âlion dans l'atelier », contient, comme « L'Adieu », un contrepoint : il ne s'agit plus de la violence produite par l'histoire, mais de celle que charrie l'actualité, guerres au loin ou meurtre dans le métro bruxellois. À nouveau, la technique est impressionniste : aucun récit ne se construit, les deux artistes se situant « en-deçà du narré » (p. 128) et éprouvant « le poids de l'Histoire hors les murs de l'anecdote ».

L'Adieu de Rose-Marie François témoigne donc d'un déchirement dans son contenu, qui contraste avec une forme apaisée, fruit d'un style évoluant par lui-même indépendamment de l'écriture de la poète et de ses choix.

Terminons en citant un poème en prose extrait de la première partie, poème à la fois charmant et inattendu : cette fois, le lyrisme bucolique n'est pas appelé par la nature, mais, étrangement, par une machine on ne peut plus humaine :

Après les haies de peupliers, la beauté des champs d'éoliennes. Les bras tendus au ciel, elles prennent leur élan pour faire la roue, pour faire le paon, le temps d'aspirer la force de l'air et l'amener sur terre.

Un moulin, parfois, leur fait signe. Ce vieillard naguère seul à brasser le vent, jeune et fort, meurt dépassé, légendaire, sur sa pauvre colline.

Laurent Demoulin
Décembre 2011

 

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Laurent Demoulin est docteur en Philosophie et lettres. Ses recherches portent sur le roman contemporain belge et français, ainsi que sur la poésie du 20e siècle.


 

Rose-Marie François, L'Adieu, Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2011, 155 p.


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