La danse de Pluton. Jeu dangereux avec le hasard

On ne peut rater sa vie en toute discrétion. Ni vu ni connu.
(F. Saenen, in Qui je fuis. Le Fram, 2003)

pluton

On connaissait le poète et l'essayiste Frédéric Saenen, voilà qu'on le retrouve avec un premier roman, La Danse de Pluton publié aux éditions Weyrich, dans la toute nouvelle collection Plumes de Coq co-dirigée par Alain Bertrand et Christian Libens.

Banlieue liégeoise. Deux jeunes, Anaïs et Jonathan, aux origines socio-culturelles fort différentes, n'ont rien de semblable.  Quoique... Ils cherchent, tant elle que lui, à « se réaliser ».  Un jour, leurs chemins se croisent, par hasard, à cause d'un jeu dangereux voulu par l'un d'entre eux.  Et ce, pas n'importe où, dans un lieu qui a bouleversé la Belgique entière dans les années 90.

La trame du roman est simple : deux histoires parallèles, deux familles ou plutôt deux jeunes de la banlieue liégeoise – Grâce-Hollogne –, et un moment où ces derniers vont se rencontrer alors que rien ne semblait devoir les rapprocher.

Anaïs, une jeune adolescente au goût immodéré pour la solitude  est passionnée de danse.  Sa mère, Nathalie, divorcée d'Abdel – qui définissait sa fille comme étant « le petit rat de l'opéra qui finira en tutu à Paris » – , est enseignante et semble passer l'essentiel de son temps à corriger les copies de ses étudiants une fois rentrée à la maison, en ressassant son divorce et les années passées.

Elle s'assied, comme d'habitude, à l'extrémité de la grande table de la salle à manger, où elle a déjà déposé la soixantaine de copies de ses classes.  Deux bics rouges côte à côte, au cas où la panne sèche surviendrait, c'est l'immuable rituel (...)

Jonathan, sans doute un peu plus âgé qu'Anaïs, sans formation, est en remédiation via le Forem,. Il est engagé dans une formation de mécanique automobile, ce qui ne semble pas l'inspirer beaucoup.  Chez lui, le milieu socio-culturel est très différent : sa mère, Jacqueline, veuve, passe ses journées à regarder des séries télévisées et on mange des frites et des cervelas achetés chez la grosse Gilberte.

Encore le cul planté devant ses séries à la mords-moi-le-nœud, avec le poste poussé à fond et le cendrier qui déborde. (...)

Ma mère, avec sa préretraite dépensée à chauffer le skaï d'un divan, à s'encrasser les bronches et à attendre la thrombose.

Rien donc ne semble rapprocher ces deux jeunes.  Et pourtant, ils cherchent tous les deux à « se réaliser », à donner un sens à leur existence ; c'est bien là l'essentiel 

Anaïs veut relever un défi difficile en tentant de créer et de travailler – au grand étonnement de Madame Ransonnet, son professeur de danse – une chorégraphie sur Uranus, un mouvement extrait des Planètes de Gustav Holst.  Chiche 

Anaïs (...) était animée d'une constante volonté de dépassement et, progressivement, elle s'était hissée au rang des meilleures du modeste corps de ballet amateur dont elle faisait partie.

Jonathan est dans la même démarche mais son environnement social l'entraîne plutôt vers des actes de délinquance, voire de criminalité.  Et pourtant, chiche !  Si son ami, le gros Rony, lui avait proposé un autre projet, son avenir aurait été sans doute très différent...  Jonathan n'a-t-il d'ailleurs pas en tête l'image d'un père, décédé trop tôt, qui avait de nombreux projets pour sa retraite Trop bête.

« La vengeance, c'est dans la tête quand la méchanceté a mangé toute la gentillesse et qu'on devient fou à cause de ça. »

Un jour, le destin fait en sorte qu'Anaïs et Jonathan se croisent là où Marc Dutroux a commis certains de ses méfaits dans les années 90... 

Non, La Danse de Pluton n'est pas un roman social, mais c'est un roman ancré dans deux réalités psycho-sociales différentes et qui pourtant, à certains égards, se ressemblent tellement.  On se retrouve en pleine Wallonie décadente, dans le bas de la vallée périphérique liégeoise désertée par ceux qui se sont fait une place...  Ce n'est pas le cas de nos deux jeunes.  L'atmosphère y est lourde, pesante, presque glauque.  Le quatrième de couverture nous annonce un roman d'une intense noirceur !  Où est cette noirceur ?  Dans l'acte de Jonathan ou dans la difficulté de vivre des deux jeunes gens.  Un thème exploité par Saenen, déjà en poésie.

On y retrouve aussi très clairement la signature de Saenen dans le style : une écriture à la fois soignée mais aussi tellement pleine d'oralité, comme dans toute sa poésie.  On sent, on lit que les faits se déroulent non loin de Liège ; on sent, on vit la réalité sociale de deux jeunes.

« La maison va tantôt se replier en quatre ici, à cause de toutes les bièstrèyes de ton père. »

« J'aurais bien fait des pâââtes, mais j'n'ai pas eu le courâche.  Veux-tu des œufs ? »

« Nooaan, mercè, n'ai vrayement pas faim, manch'hein, toi, m'fi. »

Un premier roman plutôt bien réussi, agréable à lire, avec un petit bémol, on devine peut-être un peu trop tôt l'issue du récit.  Mais cela n'enlève rien au plaisir de la lecture !

Et la « Danse de Pluton » dans tout ça ?  Laissons le soin au lecteur de le découvrir ...

Un, deux, trois
Quatre
Cinq, six

Sept

Onze

Dix-huit

NOM DE DIEU !

Le hasard. Il n'y a que ça, au fond, le hasard.

 

À propos de l'auteur...

Frédéric Saenen est né en 1973.  Il a passé son enfance et son adolescence à Grâce-Hollogne.  Depuis 1997, il vit à Liège.  Il est aujourd'hui chargé d'enseignement et responsable de Centres de Ressources documentaires (français) à l'ISLV (ULg). Entre 1997 et 2009, il a organisé et participé à près de 120 lectures publiques et présentations d'auteurs en librairie.

Il a écrit de la poésie, Seul tenant (L'Harmattan, 1998) et Qui je fuis (Le Fram, 2003) sans oublier quelques plaquettes à l'Arbre à Paroles, des nouvelles, Quatre femmes (Maelström, 2010) et Motus (Le Grognard, 2010), et enfin un essai, Dictionnaire du pamphlet en France, de la Révolution à Internet (Infolio, 2010).

Frédéric Saenen a reçu le Prix Lockem en 1998 et le Prix Pyramides en 2004.

Marc Lejeune
Décembre 2011

 

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Marc Lejeune est chroniqueur indépendant et fait partie du comité organisateur du FRAM.