Apprendre en prison : une orientation vers la réinsertion ?
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Deux missions sont imposées à la prison : la sécurité et la réinsertion. Depuis 2005, une loi de principes est venue en Belgique réformer le monde carcéral : la seule punition aujourd'hui admise est la privation de liberté. L'ensemble des autres droits des personnes incarcérées doit être garanti, mettant en avant la nécessité de travailler à la réinsertion sociale de ces dernières. Parmi les droits formellement reconnus aux détenus, un droit à l'éducation leur est accordé. Nous proposons ici d'examiner comment les activités pédagogiques sont organisées dans les prisons belges, et de vérifier si elles constituent, dans le cadre qui est le leur, une voie possible vers la réinsertion.

La prison est aujourd'hui au centre de préoccupations. Pourtant, ces dernières semblent invariablement négatives tant le traitement médiatique, qui est accordé au monde carcéral, ne révèle que des évasions, prises d'otages, émeutes ou autres violences. Cependant, la prison ne se résume pas à ces cas extrêmes, la vie quotidienne des prisonniers pouvant être rythmée par une série d'activités organisées pour les préparer à une réinsertion sociale réussie. Parmi celles-ci, les cours et les formations sont considérés comme un levier d'action efficace, à condition qu'ils puissent être mis en œuvre dans des conditions optimales. Nous allons voir comment le contexte belge se frotte à bien des difficultés.

 

Le contexte carcéral belge

La Belgique compte environ 11 000 détenus répartis dans 33 prisons : 15 en Flandre, 15 en Wallonie et 3 à Bruxelles. Les établissements pénitentiaires se divisent en deux catégories principales : « les maisons d'arrêt » accueillent des personnes prévenues en attente de jugement définitif, et « les maisons de peines » enferment des personnes définitivement condamnées. Cependant, en raison de la surpopulation carcérale chronique (taux moyen de 17% - chiffres au 1er janvier 2010), cette distinction est devenue davantage théorique : une série de maisons d'arrêt abritent indifféremment des prévenus et des condamnés (à de courtes peines). Pour encadrer ces détenus, 9000 fonctionnaires travaillent au sein de l'administration pénitentiaire, dont 6800 affectés à la surveillance à proprement parler. Le reste du personnel compose les directions d'établissements, les services administratifs, médicaux, psycho-sociaux, de culte et le corps de sécurité chargé notamment du transport des détenus.

Les profils socio-économiques des détenus

Il est difficile en Belgique de donner une description détaillée des profils socio-économiques des détenus. En effet, l'administration pénitentiaire ne compile que très peu d'informations concernant la population carcérale. Nous pouvons néanmoins préciser que parmi les 10 500 personnes détenues en 2010, en moyenne, 57,3% étaient de nationalité belge. Les autres pays les plus représentés en détention étaient, dans l'ordre : Maroc (10,7%), Algérie (5,4%), pays de l'ex-Yougoslavie (2,4%), Roumanie (2,2%), France (2,1%) et les Pays-Bas (1,9%). Les prévenus et les condamnés constituaient respectivement 34,5% et 54,2% de la population carcérale. Cette dernière est par ailleurs résolument masculine, les femmes ne constituant que 4% (environ 400 femmes) des personnes détenues.

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Au delà de ces données officielles, une enquête provenant de la Fédération des Associations pour la Formation et l'Éducation en Prison (FAFEP) réalisée en 2001 fournit un regard plus aiguisé sur les profils sociologiques des détenus. Ils sont majoritairement jeunes (32 ans de moyenne, avec une surreprésentation de la classe d'âge 25-34 ans), issus de classes sociales dites « défavorisées » (l'étude estime à 75% les détenus dont les parents sont ouvriers, manœuvres ou sans profession). La majeure partie des personnes incarcérées est également profondément infrascolarisée (30% sans aucun diplôme, 44% ont au maximum le Certificat d'Études de Base, 20 % le Certificat d'Études Secondaires Inférieures). De plus, une recherche de l'Atelier d'Éducation Permanente pour les Personnes Incarcérées (ADEPPI) a montré en 1990 que 27 % des détenus étaient des analphabètes ou presque (c'est à dire incapables de répondre à des courriers administratifs, par exemple). Face à nos observations de terrain, ces chiffres, quelque peu anciens, nous semblent pourtant refléter une parfaite actualité. Dès lors, au regard de ces données, il est intéressant de s'interroger sur les dispositifs mis en place en Belgique pour rencontrer les besoins scolaires et pédagogiques en détention. Cet enjeu paraît dès lors éminemment central pour celles et ceux qui postulent que l'éducation de base et à la citoyenneté fournit les outils concrets pour une réinsertion réussie.

 

Le droit à l'éducation en prison : cadre formel

Diverses législations internationales (articles 26 et 27 de la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966) et européennes (les Règles Pénitentiaires Européennes de 2006) soulignent la nécessité de respecter le droit à l'éducation, et ce même en prison. De plus, l'article 24§3 de la Constitution belge précise que « chacun a droit à l'enseignement dans le respect des libertés et droits fondamentaux ».

Ces dispositions nationales et internationales ont été concrètement traduites en droit pénitentiaire par le biais de la « loi de principes concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus ». Cette loi de principes, promulguée en 2005 après pratiquement 10 années de travail préparatoire, a constitué une véritable et innovante réforme inspirée des progressistes Règles Pénitentiaires Européennes, socle de réflexion ayant également influencé la nouvelle loi pénitentiaire en France. Elle pose comme principe majeur que « le caractère punitif de la peine privative de liberté se traduit exclusivement par la perte totale ou partielle de la liberté de mouvement et les restrictions à la liberté qui y sont liées de manière indissociable » (art. 9 §1er). La volonté de limiter les effets préjudiciables de la détention introduit un principe de « normalisation » (Snacken, 2002) qui « implique la création d'un cadre d'existence rapproché des standards de vie et qui devrait permettre pour nombre de détenus marginalisés l'apprentissage de modes de vie plus proches de la réalité actuelle » (Seron, 2006 : 555). Dans cette optique, l'exécution de la peine privative de liberté poursuit trois objectifs affirmés par la loi : la réhabilitation du condamné, la réparation du tort causé aux victimes et la réinsertion du détenu dans la société libre.

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