Apprendre en prison : une orientation vers la réinsertion ?
De façon concrète, le principe de normalisation prévoit, notamment, un accès élargi au travail, aux soins de santé, aux activités sportives, socioculturelles et d'éducation. Concernant ces dernières, l'article 76 (entré en vigueur le 1er septembre 2011) énonce que « l'administration pénitentiaire veille à ce que le détenu bénéficie d'un accès aussi large que possible à l'ensemble des activités de formation proposées dans l'optique de contribuer à son épanouissement personnel, de donner un sens à la période de détention et de préserver ou d'améliorer les perspectives d'une réinsertion réussie dans la société libre ». Ainsi, les détenus disposent désormais d'un droit à l'éducation, rémunéré, visant un triple objectif : 1° un épanouissement du détenu - 2° donner un sens à la détention - 3° préparer une réinsertion réussie. Bien que de nombreuses critiques soient adressées à cette notion « d'épanouissement du détenu », cf. presse quotidienne, radios et autres médias, il convient néanmoins aujourd'hui, selon cette législation, de considérer les détenus comme des citoyens à part entière, la privation de liberté étant en principe le seul acte punitif.

 

L'éducation en prison : organisation concrète

Les principes formels posés, nous allons à présent décrire brièvement l'organisation concrète des activités d'éducation dans les prisons belges.  

mur prison

Tout d'abord, il faut s'entendre sur ce que recouvre le terme « éducation ». Sous ce label sont organisés des cours de base (alphabétisation, cours de français langue étrangère, anglais, néerlandais, mathématiques, diverses remises à niveau), des formations professionnelles (informatique, gestion, cuisine-restauration, soudure, maçonnerie, couture), des formations « sociales » (programmes d'habilité sociale, de sensibilisation et de responsabilisation, formation à la citoyenneté), mais également des séances d'initiation à l'art (musique, théâtre, peinture, écriture), des groupes de paroles, etc. La présence de ces activités varie fortement en fonction des établissements pénitentiaires. Nous nous sommes essentiellement intéressés aux activités d'enseignement de base et de formation professionnelle, que nous regroupons indistinctement sous le vocable « activités pédagogiques ».

L'enseignement et la formation professionnelle relèvent, du côté francophone, respectivement des compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Région Wallonne, alors que l'administration des prisons appartient au Ministère de la justice. Ces subtilités institutionnelles compliquent la prise en charge des activités pédagogiques : l'administration pénitentiaire a pour obligation de permettre aux entités fédérées de les organiser, ce qui dans chaque prison constitue un défi quotidien notable. Concrètement, les cours sont assurés soit par des enseignants d'écoles de promotion sociale détachés (pour quelques heures ou complètement) dans les prisons, soit par des membres de diverses associations subsidiées par les entités fédérées. L'intense investissement des unes et des autres, à travers une série d'embûches structurelles (notamment concernant la sempiternelle recherche de financements), permet au système d'enseignement en prison de subsister malgré l'absence de politique structurée en Belgique francophone (une politique davantage intégrée existe du côté flamand).

L'offre de services, nous l'avons mentionné, diffère profondément en fonction des établissements : les cours sont nombreux à la prison d'Andenne, alors que la prison de Dinant n'en dispose que très peu.

Abstraction faite de ces différences, un détenu aura donc l'occasion de se former pendant qu'il purge sa peine. Il a l'occasion de poser un choix entre les possibilités offertes : en fonction de son niveau, il lui sera conseillé soit de reprendre à la base son éducation scolaire, commençant, par exemple, par l'apprentissage ou le perfectionnement du français, soit d'entamer une formation professionnelle conduisant à l'obtention d'un diplôme reconnu sur le marché du travail (ne mentionnant pas, par ailleurs, que la formation a été suivie en prison). Ces démarches sont pour certains les prémisses d'une réinsertion, entamant par là un parcours de (re)construction qui n'est cependant pas dénué d'obstacles, nous allons le voir.

 

L'éducation en prison : problèmes concrets

L'organisation des activités pédagogiques est loin d'être une sinécure : les opérateurs de formation, les détenus, les directions locales doivent faire face à une multiplication d'obstacles endémiques au monde carcéral. Parmi ceux-ci, citons d'abord, dans la plupart des prisons, l'absence ou le manque de locaux adaptés. Ensuite, le travail pénitentiaire proposé (en faible quantité) aux détenus exerce une concurrence féroce (il offre un salaire plus important) au détriment des activités pédagogiques (octroyant de très faibles revenus).

« Ce qu'on nous donne quand on suit une formation, c'est rien du tout. Si tu veux de l'argent, il faut travailler, mais y a pas beaucoup de places. Du coup, moi, je suis une formation c'est déjà un peu d'argent qui rentre. Mais dès que j'ai ma place au travail, je quitte, ça c'est sûr. »
(Extrait d'entretien avec un détenu, condamné)

L'attitude d'une frange du personnel pénitentiaire, réfractaire à l'aide sociale aux détenus, peut constituer, dans certains cas, un frein farouche à la mise en place d'activités pédagogiques.

« Et quoi ? on leur donne des cours et nous rien. Pourquoi ils y ont droit ? Faut quand même pas exagérer, c'est des détenus. »
(Extrait d'entretien avec un surveillant)

La surpopulation carcérale rend la gestion de la détention extrêmement ardue, reléguant l'éducation à une préoccupation de seconde zone. Par ailleurs, les épisodes violents (peu nombreux mais mythifiants) rappellent que la sécurité est bien la mission primordiale de la prison. Les détenus peuvent également donner à penser qu'ils délaissent ce genre d'activités par manque  de motivation ou d'implication.

 

Apprendre en prison : une orientation vers la réinsertion ?

L'addition de ces éléments rend ainsi secondaire la mission de réinsertion assurée notamment par les opérateurs de formation. En effet, la priorité de la prison contemporaine reste d'assurer en toute sécurité la gestion et la neutralisation du flux sans cesse croissant de détenus. Pourtant, les besoins des détenus – miroir grossissant des besoins d'une partie préoccupante de la population générale – sont tout autant croissants, tant se creuse un fossé entre les attentes de notre société – responsabilisation, activation, employabilité, rentabilité – et la situation sociale de certains d'entre nous.

Le parcours vers la réinsertion sociale, ou simplement vers l'insertion sociale, est parsemé d'embûches. Même si, à travers les efforts des acteurs impliqués, des détenus réussissent, en suivant des activités pédagogiques, à trouver un sens à leur détention en parvenant à se projeter de façon positive dans l'avenir, constituant, peut-être, une orientation vers la réinsertion. Ne serait-ce pas là une des conditions d'une justice offrant les possibilités d'un véritable amendement ?

 

Salim Megherbi
Décembre 2011

 

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Salim Megherbi est sociologue au Centre de Recherche et d'Interventions Sociologiques (CRIS) de l'ULg. Ses recherches portent sur les questions liées aux organisations et aux institutions, et particulièrement l'éducation en prison, dans une perspective comparative entre la Belgique et la France.

 

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