Baal

Toute l'équipe a dû reprendre un chemin différent pour les représentations au Théâtre National, puisque le spectacle est, dans un premier temps, présenté en langue française. Passage délicat pour les acteurs francophones qui ont appris à maitriser leur rôle dans la langue de Vondel, mais ô combien difficile pour les interprètes flamands qui ont déjà joué leurs rôles des dizaines de fois dans leur langue maternelle. Le résultat est tout simplement surprenant. L'accent et les expressions particulières des acteurs flamands sont non seulement justes, mais surtout exploités, ce qui ne manque pas de conférer à la pièce une saveur toute particulière. Exercice intéressant que de se rendre successivement aux représentations en français puis en néerlandais, pour mesurer les écarts possibles entre les deux versions !

Baal est présentée dans le cadre du partenariat Toernee General entre le KVS et le Théâtre National. Les deux institutions se partagent la production de six spectacles, de décembre en mars, tous présentés dans les deux langues nationales. On peut se féliciter de l'existence d'une telle collaboration entre théâtres francophones et néerlandophones. Jos Verbist se défend pourtant, dans le climat institutionnel, de prendre là une quelconque approche politique :

« Je veux malgré tout insister sur le fait que la pièce ne veut rien raconter de différences linguistiques ou de questions politiques. Avec Baal, nous désirons encore moins tenter de sauver la Belgique. Il s'agit bien d'un produit des grandes affinités artistiques entre les structures francophones et néerlandophones. Nous défendons des valeurs, une sensibilité et un théâtre similaires »3.

Entre Brecht et Baal

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Baal est une pièce particulière dans l'œuvre de l'auteur. Tout d'abord parce qu'il s'agit là de son premier texte théâtral. Mais aussi parce que Baal est une histoire très proche de la vie du jeune Bertolt Brecht, et très éloignée des principes élaborés plus tard par l'auteur, tel l'effet de distanciation. Ce choix est revendiqué par les deux metteurs en scène, qui cherchaient là à adapter une pièce qui détonnait dans le répertoire brechtien. 

Mais de quoi parle Baal ? La pièce semble avant tout parler de Bertolt Brecht lui-même, un personnage, figure du poète maudit, en décalage complet avec la société, qui s'oppose à la bonne morale bourgeoise et aux conventions sociales. Diogène des temps modernes, il se plaît à tout remettre en question et à provoquer tout le monde, en buvant, en se battant, en hurlant et en baisant. Personnage impressionnant et bestial, Baal aime mettre à jour les contradictions de ceux qui l'entourent : sa mère, son meilleur ami, ses mécènes, ses patrons, etc. Mais au fil de la pièce, les contradictions du contestataire apparaissent. Baal est avant tout une pièce qui se ressent et qui se vit. Les mots d'un personnage résonnent encore aux oreilles du spectateur : « Une histoire qui se comprend est une histoire mal expliquée ». Cette lecture du rapport entre le personnage de Baal et le jeune auteur révolté Brecht est renforcée par le fait que nous voyons Baal écrire la pièce éponyme, dont le texte nous est présenté par projection vidéo.

Spectacle faisant preuve d'une grande inventivité scénographique par la présence de volets rétractables scindant deux espaces de jeu, par un jeu d'éclairage prononcé et par la présence de musique et de projections vidéos live, la prestation doit avant tout au jeu envoûtant et décalé de l'ensemble des acteurs qui, à l'exception de Hennebicq, interprètent une myriade de personnages.

Pièce prenant pour centre le ressenti, Baal prend le spectateur à partie et l'interpelle parce qu'elle fait le choix judicieux de se centrer sur ce qui confère au théâtre son caractère unique, vivant et organique : l'interprétation des comédiens, ici remarquable.

Kevin Jacquet
Décembre 2011

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Kevin Jacquet est diplômé en Arts du Spectacle de l'Université de Liège. Il débute une thèse de doctorat concernant le théâtre.

 



3 Propos de Jos Verbist. Site internet du Theater Antigone, Ibid. Je traduis.
 
Photos © Theater Antigone

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