On célèbre en 2011 le 40^e anniversaire de la firme de disques Musique en Wallonie. Installée au sein de l'Université de Liège, cette firme dédiée au patrimoine musical wallon est en plein essor.  Elle compte déjà 151 productions fondées sur des recherches scientifiques, 130 000 exemplaires vendus dans le monde entier et téléchargeables sur internet.

En 1970, une grande réforme de l'État belge voit le jour, avec la création des Communautés et Régions, qui souhaitent affirmer leur identité et mettre en valeur leur patrimoine.  C'est dans ce contexte politique qu'est créé, en 1971, le Festival de Wallonie et parallèlement, le label  « Musique en Wallonie »,  qui a pour objectif de valoriser, par le disque, les compositeurs wallons et bruxellois, ainsi que les compositeurs étrangers ayant vécu en Wallonie depuis le moyen-âge et jusqu'en 1950.  

Six siècles de musique en Wallonie et à Bruxelles

Tout le monde connaît – fût-ce par noms de rues interposés – César Franck, André-Modeste Grétry ou Roland de Lassus. Compositeurs créatifs, novateurs et parfois très prolixes, ils occupent une place de choix dans toutes les histoires de la musique occidentale. Ils ont leurs origines en commun. Tous trois viennent en effet de cet espace constitué aujourd'hui par la communauté Wallonie-Bruxelles. Mais ils ne sont pas seuls. À leurs côtés, des centaines de compositeurs, d'interprètes ou de facteurs d'instruments ont fait de nos régions un lieu particulièrement riche en matière musicale. Durant deux périodes en particulier – la Renaissance et la fin du 19^e siècle –, la grande Histoire de la Musique s'est même écrite chez nous. Gilles Binchois, Johannes Ockeghem, Pierre de la Rue, Roland de Lassus et bien d'autres sont parmi les plus illustres représentants d'une musique franco-flamande dont les principes d'écriture allaient être adoptés dans toute l'Europe. Trois siècles plus tard, l'insolente réussite économique de la Belgique est en partie à l'origine d'une école belge de violon représentée par Henri Vieuxtemps, Eugène Ysaÿe ou Arthur Grumiaux tandis que, de la guerre franco-prussienne de 1870 à la première Guerre Mondiale, notre pays devient le lieu d'épanouissement des esthétiques françaises et allemandes.

Ces périodes d'une extrême richesse, de même que d'autres moments ou se distinguent des figures du calibre de Grétry et de Franck déjà cités, mais aussi celle d'Henry Du Mont ou de François-Joseph Gossec, constituent la raison d'être de Musique en Wallonie : la défense et l'illustration par le disque de ce patrimoine. Elle s'y attelle depuis quarante ans maintenant et il lui faudra des décennies encore pour poursuivre l'inventaire de ces inestimables richesses.

Une approche scientifique

D'abord dirigée par des amateurs éclairés, la maison d'édition liégeoise n'a pas tardé à s'attacher les compétences des chercheurs universitaires. Désormais, son conseil d'administration ne comporte plus que des musicologues des trois grandes universités francophones du pays, qui garantissent à la firme une approche scientifique de la production de disques. En amont de l'enregistrement, il y a effectivement un important travail scientifique réalisé dans les universités. Grâce aux chercheurs, des compositeurs disparus sont réhabilités, des œuvres oubliées, de grande valeur, sont exhumées, quelquefois au prix de recherches longues et minutieuses, sans considérations commerciales.   

Un souci de qualité

Pour faire revivre ces œuvres et les faire apprécier du public, Musique en Wallonie s'adresse à des interprètes talentueux. Si une certaine préférence est donnée aux artistes wallons, contrat-programme oblige, ce n'est pas une règle absolue, loin s'en faut. La qualité reste le critère de choix le plus important.  Et les (très) grands noms ne manquent pas : Daniel Blumenthal, Arthur Grumiaux, Richard Pieta, Jules Bastin, Marie-Noëlle de Callataÿ, Laure Delcampe, Roger Joakim, Marc Laho, Christine et Véronique Sohlosse, Nicolas Achten, Pierre Bartholomée, Jean-Paul Dessy, Jean-Pierre Haeck, Philippe Herreweghe, Jordi Savall, Jean Tubéry...

Et des formations aussi prestigieuses que la Capilla Flamenca (photo ci-dessus), le Collegium Vocale de Gand, les Agremens, l'Opéra royal de Wallonie, l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège, Scherzi Musicali (photo ci-contre), le Quatuor de la Monnaie, The Clerck's Group... pour n'en citer que quelques-uns. La liste est très longue et impressionnante.

Et il n'est pas rare que les enregistrements donnent lieu également à des concerts, ce qui permet de faire découvrir ces œuvres exhumées au public.

Depuis quelques années, les productions de Musique en Wallonie sont présentées sous la forme de livres-disques. Les textes de présentation de l'œuvre et de son contexte historique et artistique bénéficient des compétences spécifiques d'historiens ou de linguistes, que les musicologues trouvent parmi leurs collègues belges ou dans le monde entier, tandis que les historiens de l'art sont souvent mis à contribution pour l'illustration. Tous les textes sont traduits en anglais, en néerlandais et en allemand !

40 ans... 6 nouvelles productions

Pour fêter dignement ses 40 ans, Musique en Wallonie sort 6 nouvelles productions : Le Tournaisien Pierre de la Rue interprété par la Capilla Flamenca (3 CD), le Montois Roland de Lassus par Ludus Modalis, le Bruxellois-Vénitien  Joseph-Hector Fiocco par le formidable ensemble belge Scherzi Musicali, un coffret de 5 CD du Liégeois César Franck, des enregistrements inédits de la soprano verviétoise Hubert Vecray. Et enfin, un disque intitulé « Espris d'amours », par la Capilla Flamenca, qui accompagne l'exposition internationale de miniatures flamandes, organisée par la Bibliothèque royale de Belgique et de la Bibliothèque nationale de France, à Bruxelles et à Paris. 

Quelques extraits

Espris d'Amours - Walter Frye, Ave Regina 

Roland de Lassus,  Vostro fui   

Joseph-Hector Fiocco, Salve regine. Ad te clamamus

Pierre de la Rue, Missa ave Maria. Ave regina coelorum 

Huberte Vecray, Air de Liu «Signore ascolta» de Turandot de Puccini

Quelques productions, parmi d'autres

Épinglons une dizaine de disques, dans le riche catalogue.

Roland de Lassus, Biographie musicale vol. I : Années de jeunesse, MEW1158
Dans le cadre de Mons 2015, cinq disques sur cinq ans du plus grand compositeur de la seconde moitié du 16^e siècle, entièrement constitués d'inédits.

Henry Du Mont, Loüez par des chansons nouvelles..., MEW1056
Après avoir fréquenté la Cathédrale Saint-Lambert de Liège, Du Mont postule au titre de vice-maître de chapelle de Louis XIV. Il obtient le poste et sera au service du Roi Soleil jusqu'à son décès en 1684, s'imposant comme l'un des fondateurs du motet français.

Pietro Torri, Le martyre des Maccabées, MEW0846-47
Terre d'accueil des musiciens italiens aux 17^e et 18^e siècle, notre pays peut s'enorgueillir d'avoir connu la création du premier oratorio en français de l'histoire de la musique. Ce Martyre des Maccabées fut enregistré avec le Chœur de Chambre de Namur dans le cadre d'un projet européen.

Johannes Regis, Opera omnia, MEW0848-49
Présenté en 1477 comme l'un des cinq plus grands compositeurs de son temps – entre autres aux côtés d'Ockeghem et de Busnois –, Johannes Regis, originaire de Soignies, avait pourtant complètement sombré dans l'oubli. Ce double CD permet de réentendre l'intégralité de ses œuvres connues dans l'interprétation du très renommé ensemble anglais The Clerks.

Eugène Ysaÿe, Piére li houyeû, MEW0844-45
Virtuose du violon, Ysaÿe porta toute sa vie le projet d'un opéra (en wallon) consacré à la vie des mineurs liégeois. Créé en 1931, il ne fut jamais enregistré avant la captation réalisée par Musique en Wallonie et l'Opéra royal de Wallonie.

Magritte's Blues. Musiques de salon illustrées par René Magritte, MEW0843
Les œuvres de Magritte sont universellement connues ; on sait peu cependant qu'à ses débuts, pour gagner sa vie, il fut aussi illustrateur de partitions. Il vivait en effet dans un milieu d'amateurs de musique légère (son frère était compositeur) et tant ses illustrations que les rythmes endiablés des fox-trot, two-step, blues, etc. donnent une bonne idée de l'ère du temps très léger de ces Années Folles.

Pierre de la Rue, Missa de septem doloribus, MEW0207
Originaire de Tournai, Pierre de la Rue devint maître de chapelle de Marguerite d'Autriche. À son service, il composa près de quarante messes, deux douzaines de motets et plus de quarante œuvres profanes qui firent de lui l'un des compositeurs les plus en vue d'Europe. Sa production fut largement diffusée par le biais des magnifiques manuscrits réalisés dans l'atelier de Petrus Alamire.

Henri Vieuxtemps, Six morceaux de salon op. 22, MEW0317
Le violoniste verviétois, dont les manuscrits viennent d'être rachetés récemment par la Fondation Roi Baudouin et déposés à la Bibliothèque royale de Belgique, fut l'un des virtuoses les plus appréciés du XIX^e siècle. Si ses concertos sont bien connus, il est aussi l'auteur d'une multitude de pièces de genre qui firent les délices de la bourgeoisie du 19^e siècle.

César Franck, Les Sept Paroles du Christ sur la Croix, MEW0318
L'Université de Liège conserve le manuscrit autographe des Sept Paroles du Christ sur la Croix, un oratorio écrit par César Franck en 1859. Il faisait alors carrière à Paris et était en passe de devenir l'organiste de l'église Sainte-Clotilde.

Roland de Lassus, Sacræ cantiones, MWH1002
Le célèbre compositeur du 16^e est ici servi par des interprètes dont la renommée n'est plus à faire : Hesperion XX sous la direction de Jordi Savall et le Collegium Vocale Gent de Philippe Herreweghe.

À côté des livres-disques, tirés à 2000 exemplaires et vendus dans une vingtaine de pays, en Europe, aux USA, au Japon et Asie du Sud-Est,  la maison d'édition propose ses enregistrements sur internet, via les plateformes de téléchargement habituelles, diffusant ainsi le patrimoine musical de Wallonie dans le monde entier.

Notons encore que de nombreuses récompenses ont couronné à maintes reprises les productions de l'asbl. Diapason d'or, 10 de répertoire, Grand prix du disque Charles Cros, Prix Jaumain de l'Académie Royale de Belgique, Choc de la Musique, Editor's Choice de Gramophone, Goldberg 5...  Le travail des chercheurs et des artistes se trouve ainsi reconnu, à juste titre, par la communauté des mélomanes.

La firme travaille aujourd'hui à de nouveaux projets remarquables parmi lesquels une compilation retraçant les six siècles de musique en Wallonie et à Bruxelles à l'occasion du 40e anniversaire du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruwelles. Une nouvelle collaboration avec l'Opéra Royal de Wallonie permettra l'enregistrement de deux opéras. L'Office de Charlemagne sera reconstitué par l'ensemble américain Exsultemus. Un double CD sera consacré à  la confrontation à Rome de Josquin Desprez et Marbrianus de Orto, par l'ensemble américain Cut Circle. Et trois ensembles européens – Amarcord (Allemagne), Odhecaton (Italie), Egidius Kwartet (Pays-Bas) – continueront l'enregistrement des œuvres de Roland de Lassus.

Il y a encore tant à faire pour ressusciter toutes ces œuvres nées en Wallonie.

Claudine Purnelle
Novembre 2011

Plus d'infos : www.musiqueenwallonie.be

 
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