Un libre autoportrait...
charlus500

Un libre autoportrait à travers l'observation de personnages de roman, c'est ainsi qu'il me plaît de lire Pour une critique amoureuse. Jacques Dubois a choisi, au fil de livres aimés, huit femmes et deux « fantômes » de sexe masculin. Il les scrute dans leurs passions, leurs ébats, leur destin, et leur invente parfois un sort différent. Ce faisant il s'en empare, comme la plupart d'entre nous, mais cet acte si intime, la lecture, est ici dévoilé sous le couvert de la critique littéraire. Fascinée et sans complaisance, amoureuse donc, elle nous ouvre une « Chambre aux miroirs », pour ne citer que Nougé. Mais là où Nougé nous donne non des personnages mais les figures sans histoire, tracées à la pointe sèche, des femmes qu'il a baisées, Jacques Dubois fréquente, sans faire le pas, « des ombres, de si belles ombres ». Il les arrache à leurs créateurs, se plaît à souligner leur audace et leurs travestissements, recueille leurs larmes ou leurs gestes, s'imagine même les sauver. L'entreprise est placée sous le signe de Bataille car, telle l'assiette de lait qui ouvre Histoire de l'œil, la blancheur de la page sépare le lecteur voyeur des créatures aimées. Mais – et c'est là que tout se joue – c'est l'écriture qui fait effraction, c'est elle qui bouge sur les corps, relève les morts, fustige les vivants. Et nous révèle l'homme qui écrit, sa manière de regarder, de toucher, de se laisse toucher. Froideur chez l'un, compulsion chez l'autre, alternance de réserve et d'effusion chez notre auteur (pas étonnant qu'il ait « toujours rêvé d'aimer deux sœurs »). Il y aurait une étude à faire : pourquoi les hommes s'éprennent-ils des héroïnes de roman et les femmes des écrivains eux-mêmes ? Le piège est, dans notre cas, plus dangereux, l'envoûtement plus sournois. C'est la musique qui nous tient, la langue. Et elle, nous ne pouvons ni la bousculer ni lui inventer d'autres chemins. La lire à haute voix suffit, lui prêter, ne fût-ce qu'un instant, notre fatigue ou notre élan du jour.

Caroline Lamarche
Octobre 2011

 

crayongris2

Caroline Lamarche est écrivain.